par jean-michel » Jeu 12 Fév 2009, 20:28
le monde
Un an après la fin de la grève des scénaristes d’Hollywood, le mouvement mené entre le 5 novembre 2007 et le 12 février 2008 par la Writers Guild of America a laissé de profondes traces dans une industrie du cinéma et de la télévision qui était déjà contrainte, à l’époque, de faire face à un marché en recession.
Le bienfondé de l’action menée par les scénaristes n’est pas ici en cause. Ils exigeaient et ont obtenu une revalorisation de leurs rémunérations, notamment en raison des nouveaux supports de diffusion, ainsi qu’une révision de leurs condictions de contrat. Leurs demandes étaient légitimes, mais elles ont eu des conséquences.
Les grandes entreprises de l’entertainment n’avaient certainement pas besoin d’une raison supplémentaire pour procéder à des réductions de coût, à un moment où les marges de profit se réduisaient sensiblement. La grève leur a toutefois fourni un argument idéal. On peut craidre que la tendance s’impose à long terme, d’autant que le combat mené et remporté par la WGA a suscité de nouvelles revendications, chez les acteurs de la SAG.
Eux aussi réclament une amélioration de leurs conditions de rémunération, et des discussions avec les producteurs sont prévues les 17 et 18 février, comme le rapportait récemment l’AFP. Rien n’est réglé, mais la menace d’une nouvelle cessation de travail n’est pas encore à l’ordre du jour. Seule certitude, la situation s’est dégradée en un an et pas seulement à cause de la crise économique qui rend plus délicate à action dure.
La grève des scénaristes a eu trois conséquences immédiates.
Une réduction rapide et spectaculaire des “fees” (les honoraires) versés aux acteurs et scénaristes, les plus demandés sur le marché.
Une perturbation des programmes du prime-time, notamment en raison de l’annulation ou de l’interruption de nombreuses séries. Cela a engendré des ajustements et des retards dans l’actuelle saison. Conséquence, on a vu se multiplier les adaptations de séries en provenance de Grande-Bretagne (Eleventh Hour, Worst Week ou encore Life on Mars, sans parler de Leverage qui est une copie de Hustle) ou d’Israël (The Ex-List ou In Treatment).
Une grève de fait s’est imposée en raison de l’incertitude provoquée par les revendications des acteurs de la SAG. Cela a plongé toute l’industrie dans une sorte de torpeur générale et attentiste, alors même que la question des scénaristes était réglée.
Dans ce contexte plombé, est arrivée la crise financière. Et Hollywood doit faire face à des restrictions budgétaires et à une réduction de son activité qui auraient existé même en l’absence des trois mois et demi de grève.
Les grandes chaînes et les réseaux câblés se sont trouvées à cours de fictions originales pour remplir leurs grilles de programmes et cela a entraîné des baisses d’audience notamment en prime-time. Des séries parfaitement rôdées comme CSI, House ou Grey’s Anatomy ont perdu des fidèles dans l’opération. Le seul exemple contraire étant celui de NCIS qui a vu ses chiffres augmenter, comme le notait le NY Times en septembre. Le fonctionnement routinier des séries est particulièrement sensible aux interruptions dans la programmation.
Le coût de la grève a été estimé à plus de deux milliards de dollars en perte d’activité économique, tandis que les pertes de salaires pour les employés dans le seul comté de Los Angeles sont évaluées à 2,5 milliards.
Mais, la conséquence la plus importante à terme est sans doute celle de l’abandon de projets. La grève a fourni aux industriels un argument tout trouvé pour réduire immédiatement leurs coûts sans avoir l’air d’apparaître frileux. En janvier 2008, NBC Universal, Time Warner, News Corp. ou encore CBS Corp. ont rayé d’un trait de crayon des projets en cours, réalisant ainsi des millions de dollars d’économie.
En ces temps de rigueur, ABC et CBS ont imposé des réductions de budget de 3 à 10% sur les productions de séries et ce, avant même que la crise fasse sentir ses effets. Les séries parfaitement implantées dans le paysage et offrant de bons taux d’audiance n’ont pas été épargnées par ces mesures.
L’exemple le plus symptomatique des changements opérés concerne évidemment NBC. La chaîne, qui autrefois se targuait d’être la plus originale et la plus inventive en matière de fictions, paraît durement souffrir comme nous le remarquions dans ce billet. Certains estiment même qu’elle n’est déjà plus une grande chaîne puisqu’elle a confié la dernière heure de son prime-time au talk-show de Jay Leno depuis cet automne.
De fait, la rentrée de septembre a pu apparaître à tous les fans de séries comme un peu terne en terme de nouveautés. Tout fut centré sur Fringe, grâce au nom de J.J. Abrams, et sur True Blood grâce au nom d’Alan Ball décliné par un marketing viral assez agressif. Le mois de janvier n’a guère été plus convaincant et l’on a le sentiment qu’un an plus tard, une morosité ambiante s’est largement installée.
Les séries sont de bons baromètres de l’ambiance générale et l’on n’a assisté à aucun grand projet d’envergure. La question est de savoir si cette morosité est de nature à durer. Le prochain round de négociations entre les scénaristes et les producteurs est prévu pour 2011.