10/10
Goyokin de Hideo Gosha - 1969
"Quelle fierté à être Samourai ?"
Toujours une grosse claque ce film, Gosha est vraiment mon cinéaste japonais all time, devant Kuro qui malgré toutes ses qualités techniques a toujours tendance à faire des films trop longs (et un peu chiant par moment) et puis la vision pessimiste de Gosha me parle plus, de cesse il aura eu à remettre en question le rôle de ces personnages légendaires.
Goyokin est une merveilleuse porte d'entrée dans le cinéma japonais et plus particulièrement dans le ciné de Gosha, il est vraiment abordable avec un script assez simple ( car ça peut vite être le bordel le genre ) et un coté très divertissant malgré le ton pas joyeux du tout (pluie, neige, boue, nuit, le soleil est ici absent du film).
Dans un style totalement différent des Baby Cart c'est vraiment mon chambarra préféré, la maitrise formelle de Gosha éclatant à chaque instant mais la forme serait inutile sans un fond qui tient la route (ben oui c'est pas un film de Nolan).
Les points communs entre les western ( spaghetti ici et même plus précisément l'oeuvre de Corbucci, sauf que bon Gosha en terme de maitrise technique c'est quand même un cran au dessus de Corbucci, même si j'adore Corbucci ) et les chambaras sautent aux yeux dans ce film entre un décors neigeux tout droit sorti du
Grand Silence, des routes boueuses qui rappellent
Django, des zooms et gros plans sur les visages à la Leone et une musique entêtante du fidèle compositeur de Gosha : Masaru Satô, que n'aurait pas renié Morricone.
L'histoire en elle même est classique : un ronin essaye de se racheter d'une erreur passée commise au service de son chambellan ( Sévéon dans la présentation du film parle d'un parallèle avec le Japon de la seconde guerre mondiale, Gosha ayant été ado lors de cette période ) car l'homme n'est rien seul il appartient à son clan corps et âme mais ici les vraies valeurs ont disparues ( c'est quoi le Bushido ? ) et c'est la fin du shogunat.
La rédemption c'est une valeur sûre et ici ça fonctionne parfaitement, la trame du récit est assez maigre en elle même mais Gosha en bon conteur d'histoire qu'il est, arrive facilement à tenir notre intérêt sur les 2 heures que dure le film.
Dès l'intro morbide ( très italienne elle aussi mais plus du gothique, je dirais bien Bava mais j'ai vu que 2 films du gars et je dirais pas Fulci parce que Fulci c'est laid ) avec la découverte d'un village abandonné et remplit de corbeaux le ton est donné, cette séquence a même un coté horrifique particulièrement réussit et j'adore la mise en scène sur cette séquence, les mouvements de caméra qui fait un balancier lorsque la femme est dans la maison détruite sont vraiment réussis et apporte un réel plus à la scène ( un effet très claustrophobe ), et l'explication qu'on nous donne à la disparition des villageois c'est que c'est l'oeuvre de Dieu nous fait d'entrer nous poser des questions, va t'on voir un film fantastique ? le doute est alors permis.
Gosha prend son temps pour nous expliquer les enjeux de l'histoire et il le fait via un habile flashback.
Ce que j'adore dans les chambara c'est l'économie de mouvement lors des combats, y a pas 50 moulinets comme dans les WXP, ici chaque coup porté est mortel, et le katana est toujours utilisé de façon super classe, c'est des combats d'attente où tout se termine en un seul coup, et puis ces scènes en plan séquence où Magobei dessoude plusieurs ennemis, c'est simple, efficace et foutrement bien réalisé, c'est bien la preuve qu'il y a pas besoin de sur-découpé ces scènes d'action pour les rendre vivante, ici Gosha sublime chaque combat et le combat final dans la neige ou les adversaires se réchauffent les mains c'est une tuerie ( mais vraiment, idée très originale pour le coup), la violence est pas vraiment graphique, ça saigne un peu mais on est pas chez Misumi quoi.
Visuellement c'est du Gosha donc c'est bourré d'idées et le gars a une science du cadre assez incroyable, le nombre plan à tomber dans ce film est tout simplement hallucinant, c'est un plan très lointain lors du combat final, il dure genre une bonne vingtaine de seconde avec les 2 ennemis faisant face et au bout d'un moment les 2 acteurs font partie du paysage et ce n'est que 2 points à l'horizon qui pourrait être des arbres ) et puis l'usage du scope est de toute beauté ( c'est en panavision, une première pour un film japonais ). Dès la première scène on sent un énorme plaisir à filmer la perso de Magobei qu'il va iconiser à chaque plan, il prend son temps pour nous montrer que c'est Nakadai qui joue ce perso.
Le premier flahback est amené avec un super fondu enchainé rouge, qui ne laisse aucun doute sur ce qu'on va découvrir.
Et chez Gosha y a toujours un gros souci du détails, chaque élément du décors sert à sa mise en scène ( une bougie, un trou dans le mur, un reflet de sabre, une flaque d'eau ), notamment les 2 séquences où Magobei est enfermé dans une maison et encerclé par l'ennemi, autre chose qui m'a vraiment marqué c'est la place des acteurs dans le cadre, rien n'est laissé au hasard, bon dit comme ça on se dit ouais on a compris le gars est un bon réalisateur mais faut vraiment voir le film pour s'en rendre compte, ainsi les placements dans le cadre c'est un truc de fou comment c'est recherché, mention bien entendu a tous ses gros plans sur la tête dans le noir de Magobei mais y a aussi un autre passage : le combat dans la maison avec les 2 samourais attaqués, c'est filmé en plan séquence avec un lent travelling et quand la scène se termine et que les acteurs ont finit leur mouvement ils sont chacun d'un coté du cadre, alors oui c'est un truc tout bête surement répété et chorégraphié mais à l'écran ça rend tellement bien que c'est obligé de souligner ça, c'est ce qu'on appelle tout simplement de la mise en scène.
Ce ronin solitaire ( forcément qu'il est solitaire) est interprété par un excellent Tatsuya Nakadai qui est ultra charismatique dans ce rôle ( ça doit être la barbe ),et ce rôle fait de lui pour moi le plus grand acteur japonais devant monsieur Mifune, mais son nombre de grandes performances est assez hallucinant et ici Gosha le film tel un fantôme, dans le film il est même définit comme un homme déjà mort, il ne montre jamais ses émotions et puis le look qu'il a c'est la classe, alors oui le look on peut dire que c'est secondaire mais là ça apporte encore un plus à tout ça, rien que les scènes ou il marche avec son chapeau et son manteau c'est super classe. Tetsuro Tamba dans l'un de ses nombreux rôle de bad guy est lui aussi très bon, un peu plus ambigu que d'habitude, Kinnosuke Nakamura ( le héros de
Samourai sans Honneur ) campe un personnage savoureux (il vole même certaines scènes) et on aussi le mec qui joue Kiba et celui qui jouait le bad guy dans le 2ème Kiba, enfin y a que des acteurs déjà vu chez Gosha, Ruriko Asaoka est très belle et apporte une touche de féminité bienvenue dans ce monde de brute et joue une perso de femme forte comme le ciné de Gosha a l'habitude de fournir.
La photo neigeuse de Kozo Okazaki est à tomber, de même que les scènes nocturnes qui ont toute une excellente utilisation des sources de lumières
Une ambiance crépusculaire ( un des chambara où elle ressort le plus ), un code du bushido absent, un dernier plan somptueux et même si la fin c'est un happy end, y a une vraie tristesse qui se dégage de ce final.
Un bien beau chambarra que voila, LE chambarra crépusculaire pas excellence (avec Harakiri quand même) et puis le meilleur film japonais de l'histoire à l'époque où le ciné japonais était sur le toit du monde.