Beowulf est un film à la fois riche de l’héritage culturel humain, des légendes ancestrales et, plus spécifiquement, de l'héritage cinématographique du 20ème siècle, et constitue une véritable révolution culturelle. Comme tous les films de Robert Zemeckis et dans la tradition de l’école Spielberg, le film se veut un divertissement spectaculaire et un art qui va creuser des sujets essentiels et délivrer un message aussi profond que complexe sur les hommes et leur monde.
Concernant les outils filmiques traditionnels, le film est irréprochable, tant la maîtrise de ceux-ci par Zemeckis et son équipe a été et demeurera en tous points impeccable. Des acteurs tels que Anthony Hopkins, Angelina Jolie, Ray Winstone et Robin Wright n’ont plus rien à prouver. Le scénario co-développé par Zemeckis et Avary est intelligent et concis en décidant d’opter pour une certaine unité de lieu et de ne pas s’éparpiller au niveau de son sujet. La musique épique et troublante d’Alan Silvestri confère au film un son unique qui impose au spectateur une atmosphère à la fois flamboyante et torturée.
Evidemment, Zemeckis ne s’arrête pas là et fait évoluer le cinéma encore un pas plus loin que n’importe quel film auparavant, là où nul artiste ne s’est encore aventuré, en privilégiant le cinéma virtuel, en développant le photo-réalisme jusqu’à un paroxysme encore jamais atteint, en perfectionnant la technique de la capture de mouvements et en se servant d’un outil de mise en scène qui n’avait jamais autant servi, et jamais en tant que matériau filmique pur : le relief 3-D, un effet évidemment perdu à la vision DVD, très malheureusement.
Le cinéma virtuel, entre les mains de Robert Zemeckis, démontre tout son pouvoir : la maîtrise absolue du cinéma. Le cinéma devient avec cette forme d’Art, une projection directe de l’esprit et de l’imagination de l’artiste. L’Art atteint son apogée ici, à mon humble avis. L’Art devient plus que jamais, avec Beowulf, une vision de l’imaginaire humain aussi parfaite que possible, tel qu’il existe dans son esprit. Zemeckis ne manque certainement pas de tirer profit d’un tel pouvoir, en créant des plans absolument aussi magnifiques les uns que les autres, sa caméra se libère de son carcan réel et voltige, recule jusqu’à l’infini dans un décor semblant sans fin, se déplace à la vitesse du son, tournoie sous tous les angles imaginables et inimaginables. On est loin de la caméra qui transperçait la fenêtre de la chambre d’Ellie dans Contact, et de la caméra fantôme de Apparences qui venait se loger dans les sols et sous les voitures. Ici les effets ne se limitent plus à une seule scène par film, mais à un film tout entier. Le cinéma virtuel et photo-réaliste permet à Zemeckis de créer le cinéma absolu, l’Art absolu, dans une quête de perfection visuelle et filmique apparemment insensée et éternelle.
L’éternité, c’est bien là un sujet majeur de Beowulf, qui tente d’aborder le thème du héros sous un angle différent. Le film présente clairement un personnage en quête d’éternité, ce qui ne sera pas sans rappeler celle des personnages de La Mort Vous Va Si Bien du même Zemeckis. Le film insiste bien sur l’aspect éternel d’un héros, dont on chantera la chanson pour toujours, à plusieurs reprises, pour bien montrer l’obsession de Beowulf. Comme dans la Mort Vous Va Si Bien, un personnage maléfique offre cette éternité à Beowulf et à Madeline Ashton, au prix d’un terrible pacte avec le démon et d’une terrible malédiction. L’éternité se trouvera dans la mort pour Madeline en devenant une morte-vivante et dans l’enfantement d’un monstre pour Beowulf.
Ce qui nous mène à un autre thème majeur du film : le monstre qui sommeille en chaque homme. En effet, si le personnage incarné par Anthony Hopkins a laissé sortir ce démon en lui des années avant le présent récit en acceptant un pacte pour devenir roi, obtenir puissance, gloire et éternité, Beowulf tombe exactement dans le même piège sans jamais soupçonner que la malédiction se répète inlassablement. Grendel, le monstre d’Hopkins sera vaincu par Beowulf lors d’une scène de lutte pleine de sens. Beowulf est alors un homme face à un monstre. Zemeckis accentue leurs différences en dénudant son héros et en insistant sur la présence évidente de ses attributs sexuels en cachant leur apparition, ce qui a pour but de les rendre encore plus présents par leur absence à l'écran. Le Monstre, quant à lui n’en a pas et n’a donc rien d’humain ou de naturel. Il est juste pure et fantastique manifestation du monstre sommeillant dans le roi actuel, qui a été libéré par sa cupidité des années auparavant. Le duel se termine dans un dernier effort sanglant, lorsque Beowulf affirme son identité de héros et d’homme en criant son nom et en arrachant le bras de Grendel, symbole de son pouvoir maintenant déchu. La passation de pouvoir entre Beowulf et le Roi est alors effective, mais ce bras lui sera de nouveau arraché, de son propre corps cette fois, lorsqu’une nouvelle passation de pouvoir sera effectuée à la fin du film. Zemeckis retranscrit avec une intelligence inouïe des thèmes enfouis dans la légende depuis des siècles et en parle avec son cinéma moderne de manière plus que pertinente.
Un autre thème cher à Zemeckis découle de ce rapport homme/monstre, c’est celui du corps, de ses métamorphoses, de sa beauté, de sa laideur, de sa déformation et de son démembrement. Encore une fois, on ne pourra pas éviter de se rappeler La Mort Vous Va Si Bien qui aborde de plein fouet ce thème en rajeunissant le corps de ses personnages puis en les décomposant petit à petit pour bien rappeler le coût d’un pacte signé avec le démon. Ici la monstruosité du corps sert à manifester visuellement la monstruosité de l’âme humaine. Grendel a un corps atrocement déformé, à l’image d’un personnage torturé et d’un roi rongé par le remords. En parallèle, le corps beau et parfait de Beowulf tranche volontairement pour présenter des apparences trompeuses : le héros est forcément beau, mais il recèle un monstre enfoui en lui qui sera libéré sous la forme du puissant dragon à la fin du film. Le monstre de Beowulf est donc finalement moins torturé que celui d’Hopkins, plus noble, mais aussi beaucoup plus dangereux. Le dragon revêtira d’ailleurs, à la fin de l'affrontement, une apparence humaine pure et dorée, révélant la richesse finalement acquise par Beowulf, au terme de son sacrifice et du rachat de son âme. Lorsqu’il tend son bras vers cette image humaine, belle et parfaite de son fils et de lui-même, Zemeckis indique clairement que le héros est enfin né dans sa forme la plus pure, loin de la malédiction, loin de son orgueil.
Encore une apparence trompeuse, celle de la sorcière, qui sous la plastique parfaite d ‘Angelina Jolie, cache une monstruosité intérieure à l’état pur. Zemeckis joue beaucoup du point de vue subjective pour dissimuler cette monstruosité physique dans un but de suspense et de surprise.
Un autre propos du film, beaucoup plus cinglant, concerne toute la critique envers la religion chrétienne. Dans le récit, l’émergence du christianisme est montré comme la fin d’une époque, la fin des croyances païennes, de l’imaginaire des hommes, des monstres, des dragons et des héros.
Beowulf, alors âgé, affirme même ceci textuellement : « Les monstres c’est nous les hommes maintenant. L’époque des héros est morte. Le Dieu Christ l’a achevée, laissant l’humanité sans rien à part de misérables martyrs, la peur et la honte. » Zemeckis se plaît d’ailleurs une dernière fois à faire rôtir une église chrétienne par son dragon, en insistant bien sur le plan de la croix du Christ en feu qui s’effondre sous les flammes de l’imaginaire humain. Zemeckis avait déjà un peu titillé la religion chrétienne dans Contact, et ici il pousse sa critique un peu plus loin, en l’accusant d’avoir brimé l’imagination des hommes pendant des siècles d’obscurantisme et d’avoir donné la mort à une époque et à d’autres croyances.
Enfin je confluerai sur l’aspect le plus Zemeckisien du film, et sa chère croyance que le cinéma est une machine à remonter le temps. Evidemment il nous permet de remonter jusqu’aux époques reculées de Beowulf, mais il lui permet aussi, comme dans la trilogie Retour Vers le Futur, La Mort Vous Va Si Bien et même Forrest Gump, de faire vieillir ses personnages de manière plus convainquante que jamais. Le cinéma virtuel est ici un outil précieux pour montrer les mêmes personnages à des époques et des âges différents. C’est un grand fantasme de Zemeckis qui se réalise une fois de plus dans Beowulf, qui tente de réfléchir sur ce que deviennent les hommes avec le poids du Temps en plus sur leurs épaules, sur leurs corps et dans leurs âmes. Profond et passionnant.
Avec tant de signifiance à chaque plan du film, j’allais presque oublier de dire que Beowulf est en fin de compte un film d’heroic fantasy extrêmement exaltant, avec son lot de scènes épiques et de batailles féroces, menées de main de maître. C’est juste sacrément plus réussi quand un grand artiste est derrière la caméra (virtuelle cette fois) et qu’il parsème son film d’une multitude de réflexions, de thèmes et d’un matériau filmique aussi riches que dans Beowulf.