Jeanne Dielman, 23, Quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman
(1975)
Un film qui a connu un soudain regain de popularité en 2022, après avoir été nommé ni plus ni moins que meilleur film de tous les temps selon la prestigieuse revue Sight and Sound, sur la base d’un vote effectué par un grand nombre de critiques professionnels. Un résultat plus que surprenant là où, habituellement, on trouve généralement un Citizen Kane, un Kubrick, ou un Hitchcock, et qui peut donc légitimement poser la question suivante : pourquoi, au début des années 2020, ce film est brusquement mis en avant. A mon sens, la réponse la plus logique se trouverait dans le caractère féministe et anti-conventionnel du métrage. Après tout, quelques années après #MeToo, il n’est finalement pas choquant de voir un tel film porté aux nues, dirigé par une réalisatrice décédée ces dernières années, qui a eu une carrière foisonnante tout en restant assez confidentielle (elle n'a pas eu l'aura d'une Agnès Varda à l'international), et qui n’hésite pas, avec ce film, à partir dans un concept pour le moins extrême.
Car clairement, avec ce Jeanne Dielman, on peut parler de film totalement conceptuel : on y suit, pendant plus de trois heures, le quotidien, sur trois jours, d’une banale femme vivant à Bruxelles. Le film est très avare en dialogues, quand ça parle c’est généralement pour dire des banalités, il n’y a pas vraiment d’intrigue à proprement parler, et le peu d’histoire va donc être raconté à travers les tâches effectuées par l'héroïne, dont la façon de faire va se désagréger avec le temps. C’est, de plus, formellement tout ce qu’il y a de moins excitant, en jouant sur un découpage minimaliste, des plans fixes très longs, et des tâches ménagères montrées de la façon la plus terne possible, genre quand la femme fait la vaisselle, c’est un plan fixe d’une dizaine de minutes où on la voit de dos effectuer l’action.
Très franchement, en ce qui me concerne, c’est le genre de film qui aurait plus sa place dans un musée d’art contemporain qu’autre chose tellement tout est dédié à son seul concept. Le fait que tout aille dans ce sens rend le métrage particulièrement froid, on crée difficilement une connexion avec ce personnage qui est pourtant de tous les plans mais dont on ne sait finalement pas grand chose et auquel on ne s’attache pas, et surtout j’ai la nette impression que l’ennui ressenti tout le long du film fait partie intégrante de l’expérience, que c’est un ressenti qui est voulu par la réalisatrice, et pour le coup j’accepte beaucoup de chose au cinéma, j’aime être déstabilisé et secoué sans forcément l’attendre, mais regarder un film conçu pour m’emmerder sur la longueur ça me dépasse un peu. Du coup, le film entre dans ma liste très select des bobines qui m’ont sérieusement donné envie d’user du bouton avance rapide pour en venir à bout, bref un film que je range à côté de Inland Empire, quelques Tarkovski, La maman et la putain, et certains films d'Alexeï Guerman.
Cela ne m’empêche pas de voir l’intention du film, d’y adhérer sur certains aspects, mais à trop vouloir l’extrême de son concept, Akerman passe un point de non-retour qui rend le visionnage particulièrement désagréable. Quand, en plus, le film se tape à côté de ça des défauts rédhibitoire, comme des comédiens au jeu très limite, et un final tellement mal exécuté qu’il provoque plus le rire involontaire qu’autre chose, j’en viens à me demander si l’aura autour de ce film ne tient pas, au moins en partie, d'une certaine posture pour se faire mousser.
3/10