Le fait est que je me disais tantôt que je reverrais bien Ichi the Killer, mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Sinon, pour Extremely Inappropriate, je concède que les numéros musicaux sont assez chouettes. C'est surtout l'acteur qui joue le père qui me gonfle un peu.
Lors d'une prise d'otages, un inspecteur de police (joué par Kôji Yakusho) veut trop bien faire en essayant de sauver à la fois un otage et son ravisseur. Ils sont finalement tués tous les deux. Suite à sa bévue, on invite l'inspecteur Yabuike de partir au vert pour une période indéterminée. Dans un coin sauvage, il fait alors la rencontre d'un jeune homme qui protège un arbre à l'apparence maladive, arbre qu'il nomme Charisma...
Un des films les plus marquants de Kurosawa, de celui qui donne plaisir à gloser sur l'interprétation que l'on peut donner à l'histoire (souvenir d'un épisode de Mauvais Genres sur France Culture où Philippe Rouyer et Jean-Baptiste Thoret s'en étaient donné à cœur joie). De fait, c'est le principal plaisir que l'on peut en tirer (ainsi que l'atmosphère soignée), car si l'on attend des rebondissements nous faisant sursauter sur notre fauteuil, c'est forcément décevant. On est avant tout, comme toujours chez Kurosawa, dans un fantastique cérébral. Il y a des rencontres, des péripéties (Yabuike mettant son pied dans un piège à loup, rencontrant une botaniste qui va le renseigner sur Charisma…), mais c’est moins pour tenir en haleine (de manière conventionnelle s’entend, car l’on peut être tenu en haleine par ce film) que pour tisser une toile constituée de signes à interpréter. Si on est réceptif à cette manière de concevoir le cinéma, alors on prend plaisir à faire son miel de détails et même à revoir le film, histoire d’alimenter son interprétation ou d’en façonner une autre (certains sont allés jusqu'à le voir comme une version parodique et cynique de Princesse Mononoke, ou bien d'un anti-Totoro, et ce n'est pas forcément déconnant). Comme Yakusho jouait de nouveau un inspecteur de police, on a pu dire que Charisma était en quelque sorte un Cure II. Il y a un peu de ça (même goût pour les entrepôts crasseux, l’inspecteur joué par Yakusho est de nouveau un tantinet torturé), mais en même temps, le ton est légèrement différent. C’est qu’entretemps il y a eu la tétralogie de la Vengeance avec parfois pas mal de décalages humoristiques (voir notamment Serpent’s Path et Eyes of the Spider). Alors on ne se tient pas non plus les côtes à se mater Charisma, mais il faut préciser que le film possède quelques ruptures de ton, notamment liées aux agissement d’une sorte de bande d’éco-rangers, distillant une impression de folie qui se répand.
Car on retrouve ici une variation du thème du virus. L’arbre porte bien son nom : ne ressemblant à rien, il est malgré tout charismatique en ce qu’il attire, fascine, et fait perdre la raison à tous ceux qui l’approchent. Il y a ainsi le jeune Kiriyama qui est prêt à attaquer à coups de pieu ou d’arme blanche quiconque osant s’en prendre à son arbre chéri. Les éco-rangers qui, estimant que le dépérissement de la forêt est lié à cet arbre qui aspire la vie de la nature environnante, sont au contraire prêt à le déraciner et le brûler. De même pour la botaniste qui estime que cet arbre est dangereux… alors que sa sœur révèle à Yabuike qu’elle est en réalité folle et que le dépérissement de la forêt provient d’un mystérieux liquide qu’elle déverse dans un puits. Dès lors, la vérité est difficile à appréhender. L’arbre… entité maléfique ou pas ? Faut-il le protéger ou le détruire ? Ici chacun y verra le symbole de son choix. On peut y voir l’individu à part au milieu d’une société qu’il convient de faire rentrer dans le rang. Ou bien une forme sylvestre de bouc émissaire. Ou un symbole religieux. Il y a en effet du totem, du monolithe kubrickien dans cet arbre (impression renforcée par des choeurs ligétiens dans la musique), avec ses alliés et ses adversaires, notamment la botaniste, incarnant le savoir et la raison cherchant à se débarrasser de son éternel ennemi, mais aussi les éco-rangers qui ont pu m’évoquer les membres d’une secte (saisissante scène du dortoir où ils se lèvent mécaniquement comme des body-snatchers) prenant ombrage de cet arbre aspirant tout à lui. Quant au plan final (que je ne révélerai pas), il peut aussi bien accréditer cette assimilation au religieux que le réfuter. Dans tous les cas, il fait écho à cet indice donné dès les premières minutes :
Qu’étaient-ce que ces règles du monde ? Qui ou quoi les permettait ? Ont-elles été rétablies ou au contraire annihilées ? S’il est joueur, le spectateur n’aura pas fini d’agiter ses méninges pour enrichir son exégèse.
La petite Renko, onze ans, voit son monde s’effondrer quand elle apprend que ses parents ont décidé de divorcer. Elle essaye d’abord de faire bonne figure avant peu à peu de commettre des actes insensés…
Présenté à Cannes en 1993 dans la catégorie « Un Certain regard », Déménagement avait peut-être pâti de la présence, dans la même catégorie, de Kitano avec son Sonatine. Assez injustement en fait, car présenté de nouveau il y a deux ans lors de la Mostra de Venise, dans ses plus beaux atours d’une restauration 4K (qui lui valut d’ailleurs prix de la meilleure restauration), Déménagement en impose. Est-ce le film définitif sur le thème du divorce ? Il est en tout cas difficile de ne pas le citer tant, dans sa manière de restituer avec grâce et profondeur des liens familiaux perturbés, il se situe largement au même niveau qu’un Kore-eda. Avec notamment cette capacité à magnifier un personnage d'enfant. Ainsi Tomoko Tabata qui, dans le rôle de Renko, rejoint cette galerie d’enfants qui ont su imposer à l’écran une présence inoubliable. Il paraîtrait que lors du tournage, la gamine a été déboussolée par les directives de Somai qui lui demandait sans explications de refaire vingt fois une scène. Franchement, à l’écran, on voit tout sauf une mauvaise actrice. Ou alors Somai, en bon génie du mal voulant imiter Kubrick avec Shelley Duvall ou Marisa Berenson, s’est volontairement montré abscons pour rendre plus fiévreux le jeu de Tabata. Dans tous les cas l’apparence, le jeu et le son de la voix de l’actrice font merveille. Oh ! Je ne dirais pas qu’elle n’est pas parfois irritante, mais ce sentiment est totalement logique au regard de la situation et des affres que connaît la gamine. Tantôt apaisée, tantôt insolente ou violente, c’est un tourbillon d’émotions qui entraîne derrière lui celles des parents. Car c’est le point fort du film, qui ne se limite pas à l’enfant. Les parents sont aussi dans la tourmente, face à cette nouvelle page qu’ils doivent écrire. Dans certaines scènes, ils assurent complètement. Dans d’autres… aïe ! on sent le doute, la détresse (notamment dans une cruciale scène au milieu du film). Après, la force du film est aussi de ne pas s’enfoncer dans un pathos larmoyant. Les personnages peuvent ruminer, mais il s’agit surtout d’avancer, de trouver la bonne manière de tourner la page. Cette voie sera trouvée lors de la dernière séquence, séquence magique se passant au lac Biwa où se tient un matsuri (le Sagicho Matsuri, mais je me plante peut-être) faisant la part belle au feu, feu ici davantage purificateur que destructeur. Ce sera l’occasion de plonger aussi bien Renko que le spectateur dans un spectacle sensoriel à la fin duquel émergera une poignante vision fantasmatique qui permettra enfin aux personnages de trouver l’apaisement. Apaisement en italiques car, lors des scènes qui suivent et le générique de fin, on peut aussi se demander dans quelle mesure la joie et l’énergie retrouvées de Renko ne gardent pas en filigrane les cicatrices du trauma.
Tomiko (Rena Komine), contrôleuse de billet dans une compagnie de bus, voit un jour arriver dans l’entreprise Niikata (Tadanobu Asano), beau jeune conducteur qui la choisit pour l’accompagner dans ses trajets. Problème : une rumeur se répand depuis quelque temps, rumeur selon laquelle un conducteur de bus tuerait en série ses équipières. Or, une amie de Tomiko a été la fiancée de Niikata et est morte dans des circonstances mystérieuses…
À vérifier, mais il probable que ce soit le seul film de Sogo Ishii qui ait bénéficié d’une diffusion en France. Je m’en souviens bien, c’était en 2000, et voir sur grand écran ce film à l’ambiance très particulière est un bon souvenir. Alors rien à voir avec les films d’Ishii tenant davantage de l’esthétique punk. En comparaison Le Labyrinthe des rêves est un film apaisé, mais en apparence seulement. Car ce qui se joue à l’intérieur de la jeune Tomiko est tumultueux. Méfiante, oui, elle l’est. Mais sous le charme de Niikata, elle l’est aussi, et il ne faudra pas longtemps au spectateur pour comprendre l’évidente symbolique de ce bus entrant dans des tunnels, alors qu’à l’intérieur tout le monde est en sueur.
Après, apposer l’étiquette de « thriller psychologique » serait excessif. Sans aller jusqu’à dire que l’on se moque de l’issue, il faut bien avouer que cette histoire n’est pas vraiment crédible – précisons aussi qu’elle est adaptée d’un roman de Kyûsaku Yumeno, l’auteur derrière un des romans les plus bizarres de la littérature japonaise, Dogra Magra (publié chez Picquier). Mais plus que de chercher à créer de la tension, Ishii va surtout distiller le venin onirique d’un mauvais rêve. Parfois il pleut…
parfois il fait un soleil écrasant…
parfois on est à l’intérieur d’un bâtiment devant un contre-jour…
à chaque fois on ressent le malaise d’une ambiance suscitée par une parfaite maîtrise des moyens techniques. Et du coup les incohérences de l’histoire, le jeu inexpressif d’Asano et de Rena Komine passent au second plan. Ce qui compte, c’est le style pour exprimer le désir amoureux (scène toute simple où, après avoir récupéré un mouchoir avec lequel Niikata a essuyé sa sueur, Tomiko le glisse contre son sein, sous son chemisier) ou une menace meurtrière (cf. la scène avec les verres possiblement empoisonnés). Largement suffisant pour être captivé aussi bien par le beau visage lunaire de Rena Komine et l’aura taiseuse d’Asano que par ce quotidien dans une bourgade banale de l’avant-guerre, à la fois déprimante et inquiétante, motifs qui ne sont d’ailleurs pas sans évoquer certaines histoires d’un Junji Ito (qui publiait déjà ses histoires à l'époque). Ishii les avait-il lues ? Allez savoir.
Quand il s’agit de virer sa cuti, certaines personnes ne le font pas à moitié, et Koji Wakamatsu en fait certainement partie. Connu pour être autrefois un réalisateur radical associé à l’extrême gauche, il a par la suite compris toutes les failles, les aberrations et la dangerosité de ces doctrines, et c’est en 2008 qu’il décide de régler définitivement ses comptes avec ce United Red Army… et ses 3H10. 3H10, c’est long, surtout quand vous êtes en compagnie de tarés reclus dans une montagne pour un camp d’entraînement et ce, sous la houlette d’encore plus tarés qu’eux (Tsuneo Mori et Hiroko Nagata). Après une bonne demi-heure d’un montage d’archives pour planter le décor, montage soutenu par un morceau psyché-rock de Jim O’Rourke pour donner à la montée en puissance des idéologies d’extrême-gauche, à la fin des années 60, un aspect à la fois électrique, inéluctable et déjà malaisant, le film enchaîne avec cette longue deuxième partie pour une expérience faite de réclusion et d’humiliations. Évidemment, c’est long et souvent répétitif. Mais pas non plus illogique puisqu’au sentiment d’horreur s’ajoute celui de la durée. Un peu comme les membres de l’United Red Army, le spectateur se trouve lui aussi piégé, ruminant, abasourdi par le virage délirant que prennent les « têtes pensantes » (avec beaucoup de guillemets) du groupuscule biberonnées de lectures maoïstes. Au départ, il s’agissait de faire la révolution, autrement dit de se tourner vers le monde, de s’y confronter par la violence. Là, dans le chalet isolé au milieu des montagnes, sans liens avec l’extérieur, la révolution se replie sur elle-même. L’ennemi n’est plus à l’extérieur, mais à l’intérieur, associé à ce terrible mot : sokatsu. Il signifie « résumer », il s’agit de se prendre pour objet et de s’analyser, d’avoir conscience de ses fautes. Dans les sous-titres, il était traduit par « auto-critique ». « Fais ton auto-critique ! », « Où est ton auto-critique ? », « Tu es incapable de t’auto-critiquer ! » Les reproches sont éructés jusqu’à plus soif par Mori et Shigenobu, à des membres qui ont pourtant montré durant plusieurs années une adhésion sincère à cette envie de faire la révolution, mais qui se retrouvent dépassé par ce sokatsu, ne comprenant pas au juste ce qu’ils doivent dire, et amenant sur eux des passages à tabac… et la mort. On tombe alors dans l’abjection tant on se demande ce qui anime réellement Mori et Nagata lorsqu’ils entreprennent ce genre de torture mentale (torture à laquelle n’échappent pas les femmes bien sûr, quand bien même elles seraient enceintes). Envie d’affirmer leur puissance ? Simple sadisme ? En tout cas, pour le jeune spectateur japonais qui, en 2008, aurait été tenté d’adhérer à l’extrême-gauche dans un pays depuis plusieurs décennies bien ancré à droite (justement grâce aux agissements de ces groupuscules qui ont fini par écoeurer l’opinion publique), le visionnage d’URA a de quoi tempérer les ardeurs. Tout n’est que veulerie, courage de pacotille. Car quel courage y a-t-il à châtier un « camarade » d’un coup de couteau quand ce dernier ne peut se défendre ? Et à cette absence de flamboyance, s’ajoute celle de la réalisation, ou plutôt de cette image choisie par Wakamatsu, une image quasi désaturée, délavée, accentuant l’aspect glauque et déprimant du séjour en montagne. La seule flamboyance serait finalement celle des mots. Mais là aussi, c’est d’une flamboyance sinistre. Il s’agit d’éructer, de brailler, de porter en étendard ce mot magique : « wareware ». Soit un version emphatique, pompeuse, de « watashitachi », c’est-à-dire « nous ». Bien signifier que l’on fait partie d’un collectif pour mieux annihiler les volontés individuelles forcément perçues comme égoïstes et dangereuses. À ce titre, le dernier segment, consacré à la prise d’otages dans le chalet Asama, donne un exemple d’une stupéfiante crétinerie. Sans la dévoiler, disons juste qu’il y est question d’un cookie. C’est tellement inapproprié qu’on pourrait penser qu’il s’agit d’un sketch des Monty Pythons mais non, c’est bien la réalité. À l’enfermement physique signifié par ce chalet encerclé par les flics s’ajoute un incroyable enfermement idéologique mais qui, à la longue, fera réagir le jeune Katô Motohisa (seize ans au moment des faits) au même moment que se fera entendre l’unique chanson de Jim O’Rourke pour le score, Pictures of Adolf qui scandera de poignants « you’re wrong, you’re wrong ». United Red Army rejoint la liste des films que l’on peut qualifier de « films-épreuves » de par leur sujet et leur longueur. Si vous vous en sentez capables, eh bien chaussez vos grosses chaussures de marche et faites-votre barda pour entreprendre le visionnage d’un film morne, dépressif, mais brillant dans sa manière de révéler des excès idéologiques. Et si vous en êtes incapables, eh bien… FAITES VOTRE AUTO-CRITIQUE BORDEL !
Faudrait que j'y retourne. Ce qui me freine c'est que je les avais en divx de mauvaise qualité, mais il doit bien y avoir des copies correctes maintenant. Bon souvenir de L'Embryon part braconner.
Votre anti-virus doit être paramétré pour détecter tout contenu dangereux avec l'extrême-gauche. J'étais persuadé d'avoir chroniqué Piscine sans eau, mais en fait non. Pourtant je l'ai vu, on n'oublie pas le personnage de Yuya Uchida. Sinon Caterpillar, pour rester dans la métamorphose pacifiste de Wakamatsu,était un bon film aussi.