Anora de Sean Baker
(2024)
Plutôt bonne surprise dans la mesure où je ne suis pas fan de ce que j’ai vu du réal jusqu’ici. Sean Baker, c’était pour moi Tangerine, que j’avais copieusement détesté, et Florida project que j’avais trouvé sympathique mais surcoté, et ici donc c’est clairement le meilleur film que j’ai vu du bonhomme. J’irais pas jusqu’à dire que c’est Palme d’Or material mais je peux comprendre que ça puisse susciter de l’intérêt. Globalement, c’est un film qui synthétise plutôt bien le style du réal, à savoir une bobine qui déborde d’une certaine énergie alors que c’est finalement assez simple sur ce que ça raconte, et surtout il y a une volonté de parler des laissés pour compte de l’Amérique, de ceux qui sont rarement, voire jamais, les héros d’un film. On a donc comme héroïne une strip-teaseuse/escort qui se contente d’une vie pas bien folle, jusqu’à ce qu’elle tombe sur un jeune russe qui lui fait découvrir le luxe dans tout ce qu’il a de plus irresponsable, avant de lui faire une demande en mariage.
Un pitch à la Cendrillon qui va vite dégénérer une fois que les parents, pas du tout au courant de cette histoire, vont intervenir, et à partir de là c’est un autre film qui commence, tout en dérives d’un point à un autre, et où la jeune femme va voir son avenir se fissurer petit à petit, passant de la certitude que le mec l’aime à un doute de plus en plus présent. Ce film, c’est finalement le versant réaliste et cruel de Pretty Woman, auquel on aurait enlevé tout l'aspect conte de fée contemporain et la comédie romantique, pour finalement donner un drame psychologique et social hystérique. En parlant d'hystérie, Tangerine, avait ce côté “film qui hurle tout le temps et qui ne sait jamais s’arrêter”, ici c’est nettement plus contrôlé, maîtrisé, Baker sait donner du rythme à son récit, donner des moments de calme pour repartir de plus belle ensuite, et ça doit beaucoup à l’écriture qui privilégie les rapports entre les personnages, genre les sous-fifres qui ne doivent surtout pas blesser le fils et sa compagne, mais qui doivent tout de même mener à bien l’objectif qu’on leur a donné.
Ça donne un métrage qui oscille assez bien entre le drame et la comédie (l’aspect comique est d’autant plus étonnant que ce que l’on voit n’est pas drôle du tout, c’est son traitement à l’image qui fait la différence), pour arriver à quelque chose d’assez touchant au final (l’évolution du chauve qui veut absolument se racheter). Un résultat mené tambours battants par un casting en grande forme, en particulier Mikey Madison, actrice qui avait un petit rôle bien flippant et dérangé dans le dernier Tarantino, et qui montre ici tout une sacrée palette de jeu, entre le charme, la tendresse, l’hystérie, la provocation et la profonde tristesse que son personnage va vivre en cours de récit. Le film a clairement un discours social, mais c’est le parcours humain qui marque le plus au final, et qui permet au métrage de fonctionner aussi bien sur la longueur. Pas un grand film à mes yeux, mais ça a néanmoins des qualités évidentes, et mine de rien ça me donne envie de tenter ma chance sur d’autres films de Baker.
7/10