La Moustache
Emmanuel Carrère - 2005
Emmanuel Carrère - 2005
La Moustache, adaptation par Carrère himself de son roman, est la preuve que pour créer une bonne histoire fantastique, nul besoin d’en faire des caisses. Ici, l’histoire est toute bête : un homme, Marc (joué par Lindon), décide de s’offrir une nouvelle tête en se rasant sa moustache pour faire une surprise à Agnès, sa femme (Emmanuelle Devos). Problème, cette dernière ne réagit pas, et pour cause : elle lui assure qu’elle ne l’a jamais vu avec une moustache !
Dès lors, tout le film va s’évertuer à entretenir ce doute propre au fantastique, doute qui fait osciller entre une explication rationnelle (Marc hallucine, il est devenu dingue) et une surnaturelle (en tout cas aberrante) : Agnès lui ment et dans ce cas, elle est la clé d’une blague qui va tout de même un peu loin (puisque tous les proches, lui certifiant qu’il n’a jamais porté de moustache, auraient été mis dans le coup par elle). On tombe dans une sorte de complot universel qui échappe quelque peu à la rationalité. On n’y croit guère car, Marc devenant de plus en plus agressif, on imagine mal son épouse continuer à lui jouer la comédie. Et puis, quand bien même, comment expliquer la scène d’ouverture qui nous montre qu’Agnès voit la moustache de son mari et qu’elle entend bien sa proposition de la raser ? Dès le début, le spectateur sait que la femme sait que son mari porte une moustache. Plus fort, Marc va jusqu’à faire les poubelles pour récupérer les poils rasés et les lui montrer. Il possède aussi des photos d’un voyage à Bali sur lesquelles on le voit avec une moustache, contredisant sa femme qui prétend qu’il n’en a jamais porté. Du coup, on en arrive comme lui à suspecter la santé mentale d’Agnès. Mais là aussi, l’explication est fragile. Arrive finalement une autre explication, pour le coup plus surnaturelle qu’un complot délirant : un peu sur le principe de certains épisodes de la Quatrième dimension, Marc aurait bifurqué vers une sorte d’autre réalité parallèle.
Et c’est lorsqu’un peu de lassitude commence à s’installer chez le spectateur à cause de toutes ces hypothèses que Carrère largue les amarres pour envoyer son personnage à l’autre bout de la planète, à Hong-Kong, afin d’échapper à son angoisse existentielle. Car au-delà de l’enjeu fantastique, c’est bien de cela dont il s’agit : avoir conscience d’exister par rapport au regard des autres. A Hong-Kong, où personne ne le connaît, il n’a plus à supporter ce poids et commence à reprendre goût à une vie étrange, faites de trajets mécaniques, comme pour emplir son vide… jusqu’à la réapparition de sa femme, réapparition qui ne permettra pas forcément de résoudre le mystère de sa moustache fantôme. Jusqu’à la fin, Carrère maintient l’incertitude et un désespoir latent, usant par ailleurs à merveille de l’unique pièce musicale utilisée pour le film, le Concerto pour violon de Philip Glass. Minimaliste, obsédante, grinçante par ses sonorités — comme mimant les grincements intérieurs de Marc — mais aussi exaltée pour accompagner l’énergie et la fuite en avant du personnage, enfin désespérée, l’œuvre tisse un réseau sonore qui épouse parfaitement la trajectoire d’un personnage qui aura commencé par un bain, qui se sera poursuivie par des scènes sous une pluie battante, et qui s’achèvera par un autre bain, laissant le spectateur dans la perplexité, devant cet élément pouvant aussi bien évoquer la mort, la destruction, que le renouveau.
Vraiment un bon film qui fait regretter que Carrère n'ait pas eu davantage l'occasion de réaliser d'autres métrages. Par ailleurs très bonnes prestations de Lindon et Devos.
Dès lors, tout le film va s’évertuer à entretenir ce doute propre au fantastique, doute qui fait osciller entre une explication rationnelle (Marc hallucine, il est devenu dingue) et une surnaturelle (en tout cas aberrante) : Agnès lui ment et dans ce cas, elle est la clé d’une blague qui va tout de même un peu loin (puisque tous les proches, lui certifiant qu’il n’a jamais porté de moustache, auraient été mis dans le coup par elle). On tombe dans une sorte de complot universel qui échappe quelque peu à la rationalité. On n’y croit guère car, Marc devenant de plus en plus agressif, on imagine mal son épouse continuer à lui jouer la comédie. Et puis, quand bien même, comment expliquer la scène d’ouverture qui nous montre qu’Agnès voit la moustache de son mari et qu’elle entend bien sa proposition de la raser ? Dès le début, le spectateur sait que la femme sait que son mari porte une moustache. Plus fort, Marc va jusqu’à faire les poubelles pour récupérer les poils rasés et les lui montrer. Il possède aussi des photos d’un voyage à Bali sur lesquelles on le voit avec une moustache, contredisant sa femme qui prétend qu’il n’en a jamais porté. Du coup, on en arrive comme lui à suspecter la santé mentale d’Agnès. Mais là aussi, l’explication est fragile. Arrive finalement une autre explication, pour le coup plus surnaturelle qu’un complot délirant : un peu sur le principe de certains épisodes de la Quatrième dimension, Marc aurait bifurqué vers une sorte d’autre réalité parallèle.
Et c’est lorsqu’un peu de lassitude commence à s’installer chez le spectateur à cause de toutes ces hypothèses que Carrère largue les amarres pour envoyer son personnage à l’autre bout de la planète, à Hong-Kong, afin d’échapper à son angoisse existentielle. Car au-delà de l’enjeu fantastique, c’est bien de cela dont il s’agit : avoir conscience d’exister par rapport au regard des autres. A Hong-Kong, où personne ne le connaît, il n’a plus à supporter ce poids et commence à reprendre goût à une vie étrange, faites de trajets mécaniques, comme pour emplir son vide… jusqu’à la réapparition de sa femme, réapparition qui ne permettra pas forcément de résoudre le mystère de sa moustache fantôme. Jusqu’à la fin, Carrère maintient l’incertitude et un désespoir latent, usant par ailleurs à merveille de l’unique pièce musicale utilisée pour le film, le Concerto pour violon de Philip Glass. Minimaliste, obsédante, grinçante par ses sonorités — comme mimant les grincements intérieurs de Marc — mais aussi exaltée pour accompagner l’énergie et la fuite en avant du personnage, enfin désespérée, l’œuvre tisse un réseau sonore qui épouse parfaitement la trajectoire d’un personnage qui aura commencé par un bain, qui se sera poursuivie par des scènes sous une pluie battante, et qui s’achèvera par un autre bain, laissant le spectateur dans la perplexité, devant cet élément pouvant aussi bien évoquer la mort, la destruction, que le renouveau.
Vraiment un bon film qui fait regretter que Carrère n'ait pas eu davantage l'occasion de réaliser d'autres métrages. Par ailleurs très bonnes prestations de Lindon et Devos.