Here (Here - Les plus belles années de notre vie) de Robert Zemeckis
(2024)
Zemeckis revient de loin avec celui-ci : Welcome to Marwen est un film qui ne m’avait pas vraiment convaincu passé le défi technique, The Witches est une piètre adaptation de Dahl comparé à la version de Roeg, et surtout son Pinocchio pour Disney est sans conteste le pire film de sa carrière. Avec Here, il revient à quelque chose plus de l’ordre de Welcome to Marwen : un petit film basé autour d’un concept simple mais casse-gueule, qui fait la part belle aux prestations d’acteurs et à une certaine façon de repenser la narration filmique. A la base un roman graphique, cette adaptation garde l’idée de base du matériau d’origine, à savoir l’idée d’un point de vue unique, toujours dans le même axe, qui permet de voir l’évolution d’un même lieu au fil des années/siècles/millénaires.
J’ignore à quel point le concept fonctionne en roman graphique, mais le fait est que cette trouvaille farfelue marche très bien entre les mains de Zemeckis : tout le long de sa carrière, le bonhomme a été fasciné par l’idée du temps qui passe inexorablement, et le fait d’avoir un film entier basé sur l’idée de montrer différents destins se croisant thématiquement alors qu’ils n’ont en commun que leur position géographique, tout cela fait sens. D’autant que, pour le coup, Zemeckis ne choisit pas l’option de facilité. Déjà, il n’est pas question de traiter l’histoire dans l’ordre chronologique : on passe d’un siècle à l’autre d’un seul cut sans prévenir, et c’est finalement plus les échos d’une storyline à l’autre qui vont motiver l’ordre de la narration avec, par exemple, le décès d’une personne au 20ème siècle qui répondra à la mort d’un autre personnage dans une Amérique qui n’était alors pas encore colonisée.
Ensuite, il y a l’idée de pousser encore plus loin la notion de cadre en partant de la simplicité de la note d’intention. Un seul axe pour raconter des dizaines de destins, souvent dans le lieu confiné d’un salon ? Pas un problème pour Zemeckis qui fait preuve d’inventivité pour transcender la limite qu’il s’est donnée. La fenêtre qui sert d’indication temporelle, des tableaux qui vont venir détailler une vie qui s’est déroulée hors des murs que l’on voit à l’écran, un miroir qui vient montrer l’envers du décor après plus d’une heure de film, autant d’éléments qui permettent à Zemeckis de dépasser la contrainte initiale. Si on ajoute à cela le fait qu’il se permet plusieurs fois de séparer l’image en plusieurs cadres de différentes tailles, pour avoir différentes storylines racontées au même moment, on tient alors un film visuellement et formellement plus riche qu’il n’y paraît, quand bien même il y a quelques idées plus poussives qui marchent moins bien (axe unique oblige, il faut trouver des excuses pour que les acteurs soient souvent dans le même endroit d’une pièce, et ces excuses font parfois forcées). Le choix du concept est d’autant plus étonnant de la part de Zemeckis que ce dernier est plutôt un habitué de la caméra en mouvement, mais il s’approprie à merveille cette nouvelle manière de raconter une histoire, et c’est dingue de constater qu’à 72 ans il est toujours capable de remettre sa mise en scène en question, là où beaucoup d’autres restent dans leur zone de confort.
Côté script, le film a ses hauts et ses bas, il faut un moment avant de se faire à l’idée qu’on ne voit que des fragments de vie, et que ce seront les seuls qui vont permettre un attachement aux différents personnages, mais sur la longueur ça fonctionne. Ça n’empêche pas le métrage d’avoir quelques éléments qui fonctionnent moins bien, genre la storyline de la famille en période COVID, ou celle des amérindiens, mais à côté de ça tout ce qui touche à la famille du perso de Tom Hanks, le père qui n’arrive pas à voir sa vie redécoller après la guerre et qui devient une déception pour lui-même, le jeune peintre obligé de négliger sa vocation artistique pour assumer l’arrivée imprévue d’un nouveau né, le couple qui se fragilise petit à petit, l’arrivée progressive d’Alzheimer, tout ça fonctionne d’un point de vue émotionnel, et je me suis même surpris à être très ému sur les ultimes minutes du métrage alors que je n’avais pas eu tant l’impression que ça d’être attaché à ces personnages. Cela doit sans doute au fait que le film assume parfaitement l’idée de construire de vies à travers des moments tout ce qu’il y a de plus banals, mais c’est précisément ce qui rend l'œuvre universelle au final.
En ce sens, le casting fait globalement preuve de retenue, c’est un film qui cherche tellement une forme de véracité banale que ce n’est pas vraiment l’endroit pour y proposer des prestations remarquables, mais tout le monde joue sa partition dans les règles, mentions spéciales à Robin Wright dans la scène de ses 50 ans, et à Paul Bettany qui a peut-être bien le personnage à la direction la plus dramatique et touchante. Le deaging fonctionne plutôt bien, rien de spectaculaire mais ça suffit à acheter l’idée des mêmes personnages qui vivent une vie entière sur un peu plus d’une heure et demie. Je ne peux malheureusement pas dire la même chose des autres effets visuels qui détonnent tant ils sont voyants : le film a coûté moins de 50 millions et ça se voit que cet aspect n’était pas la priorité sur le projet. C’est quand même dommage de constater à quel point le film sort dans un certain anonymat, encore plus que d’autres films de Zemeckis par le passé, alors que c’est clairement son meilleur depuis Allied (et il vieillit déjà bien en tête). A ceux qui aiment les propositions originales, qu’importe qu’elles soient inégales, il y a peut-être moyen pour vous d’y trouver votre compte dans ce film qui, derrière son idée de base saugrenue, cache une vraie ambition et sincérité narrative.
6,5/10