"Petit" post histoire de décharger un peu en ces lieux.
Il y a un an et demi j'ai quitté le studio d'animation dans lequel je bossais depuis 4 ans. En gros, je sentais que je faisais du surplace en termes d'expérience, et surtout je n'en pouvais plus des gros films américains avec des screenings tests tous les deux mois qui viennent remettre en cause ce que des gens talentueux ont passé des jours à fabriquer. Si on ajoute à cela une politique de plus en plus américanisée, avec des têtes pensantes non plus françaises, mais basées à Los Angeles, c'était la goutte d'eau qui me donnait envie de revenir à quelque chose de plus petit, de plus humain.
Au moment où j'ai terminé un long-métrage, fin 2022, j'ai eu la chance d'être contacté par une petite boîte avec laquelle j'avais déjà travaillé en 2019. Ils étaient en galère sur une série d'anim où tout allait mal : production chaotique, des images pleines de bugs qui sortaient, un client qui allait jusqu'à insulter les équipes prestataires, la totale. On m'a demandé de passer en directeur de production (très gros poste bien au-dessus de mes compétences à l'époque) pour remplacer une personne qui lâchait en cours de route, je me suis dit que ça permettrait de changer de ce que j'avais connu jusqu'ici et j'ai accepté, d'autant que j'avais beaucoup aimé l'expérience avec ce studio auparavant.
Je m'étais donné trois-quatre mois pour réussir à remettre le projet sur pied, et ça a été une réussite : d'un chaos total, j'ai réussi avec mon équipe de production a recréer un climat confortable, à rétablir une bonne relation client, à dire non à des demandes extravagantes, bref ça a été une super expérience, et je suis ressorti de ce projet salué par mes boss, qui se sont dit qu'ils avaient trouvé un nouveau dir' de prod pour leurs futurs projets.
Arrive le projet suivant : un long métrage à hauteur de plusieurs millions d'euros, le plus gros budget que le studio ait connu, et donc énormes attentes autour du résultat. En octobre dernier, on me met directeur de production dessus en partant du principe que je suis encore d'un niveau junior sur ce poste, et donc qu'il faudra un autre directeur senior pour m'épauler et me former. C'est accepté par tout le monde, et on lance la pré-production.
Première fois que je bosse sur un long à l'étape de pré-prod, première fois que je dois gérer un budget à l'échelle d'un projet entier, première fois que je dois gérer un client à une étape artistique où il faut laisser assez de flexibilité tout en faisant en sorte que le planning avance comme prévu : autant de difficultés qui arrivent rapidement et qui me font attendre avec impatience le fameux directeur qui pourra me permettre de mieux gérer ça. A un moment il est question qu'il arrive en janvier, puis mars, puis finalement ce sera juillet, pendant ce temps je porte seul les responsabilités tout en faisant quelques erreurs (normal vu mon niveau d'expérience).
En avril, mes boss, qui sont dans une position très délicate (le film est le seul projet du studio, donc ils font aisément de la lèche au client producteur pour s'assurer qu'il est content et qu'il continuera à nous fournir des films), décident de virer un de mes artistes juste parce que le client, mécontent de son travail, le demande.
En tant que directeur de production, ayant la responsabilité de la gestion d'équipe, et vu que cette décision a été prise juste du côté des patrons, et sans passer par moi, je m'y oppose. Mon soulèvement, presque suivi par d'autres employés, est très mal vu par mes boss. Jusqu'ici ils toléraient mon côté grande gueule parce qu'il était généralement dirigé vers le client, mais là je remet en question une de leur décision, et ça passe très mal.
Depuis avril, j'ai donc eu droit en tout et pour tout à 7 réunions RH pour décider de la suite, en prenant comme base l'histoire autour de cet employé (qui sera finalement viré malgré mon opposition, chose que j'ai très mal vécu d'un point de vue personnel) mais en y ajoutant mes erreurs de débutant sur le projet (genre manque d'anticipation de certains problèmes, etc...). A un moment on me laisse penser que je vais être rétrogradé, à un autre moment que je vais devoir suivre une formation donnée directement par mes propres patrons sur le management d'équipe (alors que j'ai fait 5 ans d'école sur le sujet...). Il y a deux semaines, on me demande de me positionner sur ce que je souhaite faire. Alors que le directeur de production senior est sur le point d'arriver, je dis clairement que ça serait dommage d'arrêter là, je leur dis que j'adore le projet, l'équipe, et que je veux vraiment continuer dans cette voie. Mes boss disent alors qu'on laisse passer la semaine du festival d'Annecy, où on se rendait tous, et on en reparlera en rentrant.
Aujourd'hui, je viens d'apprendre que je suis remercié, purement et simplement. Derrière les arguments foireux donnés pendant la pénible réunion de 30 minutes, je ne peux m'empêcher d'avoir l'impression de m'être fait avoir. Dès le début je trouvais bizarre le fait d'engager deux personnes pour un poste généralement bien payé, sur un projet où on tente autant que possible de mettre l'argent dans la qualité de l'image plutôt que dans le management. Et là, me faire virer littéralement deux semaines avant que "le vrai" directeur de production tant attendu arrive, je trouve la coïncidence trop grosse, ça paraît presque calculé.
Je sais que je n'aurais pas trop de mal à retrouver un boulot derrière vu mon parcours, donc la perte du job n'est pas vraiment un problème en soi, mais tout ce qui y a mené m'emmerde au plus haut point. L'impression d'avoir été utilisé comme solution de secours, et d'être balancé à la première occasion donnée. Le pire étant que je ne peux même pas communiquer l'info à mes équipes en attendant la version "officielle", mais sérieux s'ils tentent de faire croire que mon départ découle d'un accord commun, ils vont m'entendre...
L'avantage de cette histoire, c'est que ça m'a permis de prendre position à un moment où je n'aurais pas forcément eu le courage nécessaire avant. J'ai mis plus de valeur dans un seul individu que dans la décision de ceux qui me payent, et malgré tout le stress que cette histoire a engendré, j'en ressors avec une certaine fierté envers ma décision, alors que j'aurais aisément pu fermer ma gueule et, peut-être, ne jamais donner une raison à mes boss de me virer.
Bon après j'essaye de trouver le positif là où il y en a, car c'est la première fois que je me fais remercier de cette façon et c'est vraiment pas agréable.
Désolé pour le monologue, mais ça fait du bien de mettre des mots sur ce que je retiens depuis plusieurs jours.