[Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar Olrik » Jeu 21 Mar 2024, 12:30

osorojo a écrit:je cracherais pas sur un autre drama du même style.

Liar Game.
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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar osorojo » Jeu 21 Mar 2024, 14:11

Intriguant, je vais tenter :super:
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Perfect days - 9/10

Messagepar Olrik » Dim 24 Mar 2024, 12:00

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Perfect Days
(Wim Wenders - 2023)

« Lui, je ne lui donnerai même pas mes chiottes à nettoyer », ai-je parfois entendu dire pour parler de la grande incompétence d’une personne. Cette phrase, nul doute qu’on ne se risquerait pas à l’appliquer à Hirayama, le personnage principal du film de Perfect Days. Dès l’ouverture, on comprend à qui on a affaire. Chaque geste, chaque déplacement n’a en effet qu’un seul but : l’efficacité pratique. Que ce soit pour plier son futon, se brosser les dents, arroser ses plantes, prendre une canette de café à un distributeur ou donc nettoyer les toilettes publiques (son métier), Hirayama ne perd pas de temps, va à l’essentiel avec un sens du professionnalisme tout japonais. Ajoutons à cela qu’il ne se perd pas en vaines paroles, un peu semblable en cela au protagoniste du mange de Jirô Taniguchi, L’Homme qui marche.

Mais a-t-il pour autant tout du vieux sage, comme j’ai pu le lire dans quelques critiques (je passe ici sur les sottes critiques qui se bornent à faire de Wenders le poète des toilettes japonaises) ? Rien n’est moins sûr. Pourtant, une fois son travail quotidien achevé, il semble profiter de la vie en appréciant le moindre instant : une baignade aux bains publics, un déjeuner dans un petit resto populaire, une pause dans un parc durant laquelle il prend en photo le feuillage d’un arbre, et surtout des déplacements en vélo. En fait, Hirayama, ce n’est pas l’homme qui marche mais l’homme qui pédale au milieu de Tokyo, veillé par la silhouette du Tokyo Skytree qui surplombe son quartier. À cela s’ajoutent deux autres plaisirs : écouter ses vieilles cassettes audio quand il conduit et lire des romans avant de dormir. Apparemment, Hirayama a une certaine culture et on se demande bien ce qu’un homme comme lui fait à récurer des toilettes jour après jour. Un sage, assurément, qui n’est pas sans évoquer le Travis Henderson de Paris, Texas, autre grand personnage mutique de Wenders et affichant en toutes circonstances une rassurante tranquillité.

Sauf que le spectateur ne tarde pas à suspecter un rien d’artificieux dans cet emploi du temps soigneusement étalé et répété comme si, finalement, le but d’Hirayama était de remplir son quotidien d’actions (tant professionnelles que privées) pour ne pas avoir à penser. À quoi ? à la vacuité, au non-sens de sa vie alors que cette dernière s’approche dangereusement de la vieillesse. Significativement, c’est au moment où son esprit n’a plus d’emprise sur cette question, c’est-à-dire quand il dort, que surgissent des rêves qui lui font avoir des visions sur une chose ou une personne qu’il a rencontrée durant la journée.

Ainsi les femmes.

On ne sait rien de ce qu’a été sa vie privée autrefois. Cet homme est-il veuf, séparé, ou un indécrottable célibataire ? À la manière timide, fuyante, qu’il a de regarder les femmes, on penche pour la dernière hypothèse. Ainsi la jeune Aya, la petite amie de son jeune collègue de travail, qui écoute dans sa voiture avec intérêt sa cassette de Patti Smith. Ah ! S’il avait trente ans de moins, ne serait-elle pas une petite amie idéale ? De même l’office lady qu’il rencontre plusieurs fois dans son parc, assise sur un banc, et qui le regarde étrangement. Ne serait-elle pas intéressée par lui ? Oui… enfin peut-être… ou plutôt non, ça doit être autre chose. Et finalement Hirayama s’en va sans avoir tenté quoi que ce soit. Enfin, il y a la mama d’un petit bar qui, très clairement, semble en pincer pour lui. Alors que deux clients lui demandent de chanter pour égayer la soirée, quelle chanson choisit-elle ? une chanson japonaise sur l’air de The House of the Rising Sun qu’Hirayama a écouté au début du film dans sa voiture, dans la version d’Eric Burdon. Manifestement, il y a accointance culturelle. Mais Hirayama n’entreprendra rien. Hirayama c’est un peu un Travis inversé. Ce dernier aussi cherchait sa femme dans Paris, Texas, mais à la fin, il finissait par la trouver (ou plutôt la retrouver). Hirayama, lui, a dû passer sa vie à la chercher et à la laisser s’échapper alors même qu’elle lui tombait dans les bras.

Et finalement, au-delà de cette organisation millimétrée de son quotidien, on sent que la solitude s’insinue et finit par lui peser. Car c’est là qu’intervient l’autre grand thème du film : après la maîtrise du temps, c’est son délitement, la conscience du gouffre qu’il a creusé année après année. Alors qu’il fait tout pour le maîtriser, pour ne pas penser à son imparable déroulement qui le rapproche de la mort, il fait d’autres rencontres qui finissent par fissurer sa prestance de pseudo vieux sage.

Ainsi ce vieux SDF qui a définitivement perdu la boule. Hé ! Que deviendra Hirayama quand, devenu vieux, incapable de faire son travail, il aura ses factures à payer ? Sera-t-il si différent ?

Ainsi ces photos de son quotidien, des arbres en particulier (répondant à la version plus moderne du Tokyo Skytree), qu’il trie méticuleusement avant de les empiler absurdement dans des caisses en carton datées par année. À un moment, on saisit que lui-même finit par ne plus être dupe de cette activité qui n’a d’autre but que de se dire : « je suis heureux, je ne m’ennuie pas, mes journées sont tellement perfect days ! »

Ainsi les retrouvailles avec Niko, sa nièce lycéenne et Keiko, mère de cette dernière et propre sœur d’Hirayama. On comprend que cela fait longtemps qu’ils ne se sont plus parlé et que Keiko, vivant manifestement dans l’opulence à en croire la grosse berline qu’elle utilise pour chercher Niko (elle a fugué pour se réfugier chez son oncle), a probablement honte que son frère soit tombé au point de n’être qu’un agent d’entretien de toilettes publiques. Les deux seront bouleversés par leurs retrouvailles, Hirayama surtout qui, le temps de quelques jours, aura découvert le plaisir de partager un quotidien avec une jeune fille dont il aurait pu être le père… s’il avait choisi une autre voie que la sienne. Le fait qu’elle se prénomme Niko est d’ailleurs tout un symbole. Friand de vieilles gloires du rock 70’s, amateur de Lou Reed et du Velvet Underground, quel meilleur prénom aurait-il pu offrir à sa fille ?

Ainsi, enfin, cette discussion avec l’ex-mari cancéreux de la mama du bar, ex-mari qui lui révèle sa maladie. On ne révélera pas le détail de certaines répliques, ce que fait Hirayama et encore moins la nature de la scène finale. Disons juste que Wenders joue parfaitement de l’ambiguïté sur ce que réserve le spectacle de ce soleil levant éclairant l’incroyable visage de Kôji Yakusho qui n’aura pas volé son prix d’interprétation à Cannes en jouant ce lointain cousin du personnage de Harry Dean Stanton.

Perfect Days est un grand film sur le temps et, dans un registre plus propre à la temporalité japonaise, sur la résistance de l’ère Showa sur les ères Heisei et Reiwa. Lors d’une scène, Hirayama tombe devant de grandes bâches bleues recouvrant l’espace occupée par une maison qui a été détruite. Un vieillard, qui observe lui aussi, lui demande s’il se souvient de ce qui se trouvait auparavant sur cet emplacement. Lui, en tout cas, a complètement oublié. Et au milieu de cet environnement qui n’en finit pas de se moderniser (incroyables toilettes publiques, présence tutélaire à la fois belle et un rien inquiétante du Tokyo Skytree), Hirayama s’accroche à ses petites habitudes passéistes pour oublier, ou du moins essayer d’oublier, le changement d’ères, le temps qui passe. Détail intéressant : le personnage de la mama est joué par Sayuri Ishikawa, une ancienne chanteuse d’enka et de jpop ayant connu le succès dans années 70 et 80. Chanson japonaise vintage (à un moment, Hirayama écoute dans sa voiture une mélancolique chanson de Sachiko Kanenobu), bar typique de l’ère Showa qui ne dépareillerait pas dans la Golden Gai de Shinjuku, cet écrin et cette version showaesque de Nastassja Kinski auraient tout pour rendre heureux Hirayama. Mais le sera-t-il ? Le souhaite-t-il ? Et, surtout, ces « perfect days » sont-ils liés au présent, à un lointain passé que l’on ne connaît pas ou à un avenir lumineux ? Ce sera au spectateur de le décider à la fin.
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Film: Perfect days
Note: 8/10
Auteur: osorojo

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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar Val » Dim 24 Mar 2024, 18:24

:super:
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Paris, Texas - 9/10

Messagepar Olrik » Jeu 28 Mar 2024, 10:05

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Paris, Texas
Wim Wenders - 1984


Paris, Texas, c’est d’abord de vieux souvenirs.

Souvenir de l’époque des VHS vierges de cinq ou six heures qui permettaient d’entasser plusieurs films. Enregistré sur Arte ou Paris Première, Paris, Texas avait rejoint l’une d’elles dans une qualité forcément limitée mais qui ne m’avait pas moins permis de le revoir plusieurs fois, à une époque où la soif de cinéma n’était pas encore abreuvée par l’arrivée du DVD et encore moins internet.

Souvenir aussi du CD de la B.O. de Ry Cooder, que je possède toujours. Les fichiers FLAC l’ont remplacée, mais je me souviens que sa musique atmosphérique avait été régulièrement écoutée.

Et puis, les années ont passé, puis les décennies, le film s’est fait oublier avant de se rappeler à mon bon souvenir par l’entremise d’un nouveau film du réalisateur. Ici, c’est Perfect Days qui a joué ce rôle, son personnage principal n’étant pas sans points communs avec celui de Travis Henderson. Ah ! Paris, Texas, quel film, c’était le bon temps ça ! Mais que vaut-il maintenant ? Si je décide de le revoir, ne vais-je pas courir le risque d’être déçu ? Tentons tout de même…

Le beau fichier HD rutilant de couleurs lancé, je comprends très vite que le film a parfaitement vieilli. Les images du désert du Texas et de la casquette rouge vif que porte Harry Dean Stanton sont immédiatement saisissantes. Photographiquement parlant, ce sont les années 80 à leur meilleur, loin des innombrables tâcheronneries de l’époque qui font que nombre de films d’alors n’ont pas forcément bien vieilli. Du coup, les premières images font tout de suite comprendre que ça va aller, que l’on va bien de nouveau assister à une confortable odyssée.

Car c’est bien d’une odyssée dont il s’agit. Hirsute, hagard, Travis a au début tout de l’Ulysse perdu en pleine mer (une mer rocailleuse, mais mer quand même) avant d’être recueilli par le roi Alkinoos. Ce rôle est dévolu au frère de Travis, Walt, fier de montrer à son frère son petit royaume, c’est-à-dire sa maison perchée au-dessus de Los Angeles et pour laquelle il avoue qu’elle a nécessité un petit sacrifice financier. Reste que lui, contrairement à Travis, n’a pas été balloté par des vents contraires les dernières années, il a su se constituer des richesses (richesses qu’il partage volontiers avec générosité, à l’instar d’Alkinoos qui couvre de présents son digne invité).

Quant à sa femme, Anne, elle peut être vue comme la Nausicaa franco-américaine qui sera aux petits soins envers Travis afin de le rendre présentable et de le mettre en confiance, le faire sortir de son mutisme.

Car à un moment, il faudra bien parler, dire tout ce qu’il s’est passé durant ces quatre années, toutes les aventures qu’il a vécues. Ici, l’aède chantant la guerre de Troie et déclenchant chez Ulysse l’envie de raconter sera remplacé par un moyen mémoriel plus moderne : une petite séance familiale de projection d’un film super 8 datant de l’époque où Travis vivait paisiblement avec sa femme, Jane, et son fils, Hunter. Pas vraiment de récit d’une guerre, donc, et pourtant, on comprendra à la fin du film que les liens entre les époux n’avaient lors rien d’idyllique, comme le suggère un plan bref du visage de Travis qui, alors que le film s’attarde sur Jane, se durcit.

Juste un instant car les images jouent leur rôle de catalyseur émotionnel. Simple coquille vide alors qu’il est retrouvé dans le désert par Walter, Travis tend à s’épaissir, à retrouver son humanité, à perdre son étrangeté. Et au spectacle du désert du Texas, répondra celui du visage de Travis, qui perdra sa barbe hirsute, arborera à la place une moustache impeccable, sera bien peigné et surtout exprimera dorénavant toute une palette d’émotions — Et pour le spectateur ce n’est pas là le moindre des plaisirs, Harry Dean Stanton trouvant probablement dans ce personnage le rôle de sa vie. Si, contrairement à Ulysse, il n’a pas conté lui-même son passé (pour cela, il faudra attendre la dernière demi-heure), il l’a du moins retrouvé et ces retrouvailles constituent l’impulsion qui va lui permettre d’achever son voyage vers Jane/Pénélope.

Mais on ne retourne pas à Ithaque comme cela, les mains dans les poches. D’abord, il convient d’être aidé par un aède. Un vrai cette fois-ci, un qui sait lire l’avenir, pas un simple film super 8 qui se contente de donner à voir le passé. Travis va en rencontrer un lors de cette scène :

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L’aède est un marginal beuglant tout seul une sorte de colère prophétique à un monde qui ne l’écoute pas : sous lui, un gigantesque périphérique où filent des véhicules indifférents. Et pourtant, la vision de ce périphérique annonce celui qu’empruntera quelques jours plus tard Travis à Houston, périphérique qui lui permettra de traquer et retrouver Jane.

« Traquer »… ici, le prénom du fils de Travis, Hunter, semble prédisposé à la tâche. Avec Télémaque, il partage la caractéristique de vivre loin de sa mère. Télémaque vit à Lacédémone, chez Ménélas et Hélène, lui vivait à L.A. (hasard de la première syllabe ?) chez son oncle d’adoption. Pour son retour à Ithaque, Ménélas donne à Télémaque des vivres ; pour son départ de L.A., Hunter dispose de ses portions de Vache qui rit qu’Anne lui remet tous les jours. L’anecdote est connue : le nom du fameux fromage vient d’une déformation de valkyrie. Dans Paris, Texas, toutes les références mythologiques sont décidément systématiquement déformées par le monde contemporain. Et peuvent donc potentiellement se superposer, le couple Walter/ Anne pouvant aussi bien évoquer Ménélas / Hélène que Alkinoos / Nausicaa. Si dans L’Odyssée Ulysse et Télémaque font route séparément vers Ithaque, dans Paris, Texas le père et le fils se rendent ensemble à leur objectif. Dans les deux cas, ils disposent d’un navire remis par un bienfaiteur. Il n’en va pas autrement de Travis (j’ai presque envie de l’appeler Travysse) qui, après avoir parlé à Walter de son projet de retrouver Jane, obtient sans le moindre souci de ce dernier d’argent, de cartes bancaires et d’une voiture pour voguer jusqu’à Houston où elle se trouve. Décidément, c’est une crème, Alkinoos.

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Le père, le fils, le navire, les vivres, la route qui va mener au but : l’odyssée commence son dernier acte.


Et dans la dernière ligne droite de son périple, il sera donc secondé de Hunter. Plus tôt dans le film, Wenders ménagera des scènes d’éloignement et de rapprochement entre le père et le fils, le tout associé à différentes apparences de Travis (notamment lorsqu’il va chercher Hunter à l’école).

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Métamorphoses de Travis. Entre les deux, intervention non pas d’Athéna mais de la servante Carmelita afin de lui donner une certaine aura (et le pire, c’est que ça fonctionnera auprès d’Hunter).


C’est là aussi un point commun avec L’Odyssée puisque les différentes apparences d’Ulysse sont une manière d’épreuve pour Télémaque. Dans tous les cas, le fils reconnaîtra (dans tous les sens possibles) le père. Et il l’aidera, donc, dans ses retrouvailles avec son épouse. Dans L’Odyssée, Télémaque est l’électron libre qui permet d’atteindre Pénélope sans éveiller les soupçons. De même, dans Paris, Texas, Hunter, armé de son walkie-talkie et posté à la sortie de la banque où Jane se rend chaque 5 du mois pour y déposer une somme sur le compte d’Hunter, est celui qui la verra le premier… sans éveiller les soupçons.

S’ensuivra la scène de filature sur le périphérique, scène durant laquelle Hunter sera décisif pour ne pas perdre de vue le petit véhicule rouge qui, à un moment, se dédoublera :

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Quelle voiture est la bonne ? celle de droite ? Celle de gauche ? Hunter n’hésitera qu’un instant avant de choisir : c’est celle à gauche. Le choix paraît pourtant peu évident au spectateur tant les voitures sont absolument identiques mais le ton d’Hunter semble tellement sûr de lui, comme si quelque déité lui avait soufflé le bon choix, qu’on ne tremble pas trop à l’idée qu’il aurait pu se tromper.

Hunter est donc décisif mais, lorsqu’il s’agit de retrouver et de déloger Jane / Pénélope de son palais, il convient de laisser Travysse œuvrer avec sa ruse légendaire.

Le palais de Jane, le voici :

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Le palais de Pénélope était devenu un lieu de débauche à cause de la présence des prétendants, il n’en va pas autrement du « palais » dans lequel se trouve Jane qui n’est plus qu’un corps voué à faire saliver des hommes qui la désirent (en cela, il est intéressant que Wenders se soit limité à une forme de prostitution qui ne va pas au bout du désir,Pénélope restant une femme que l’on peut ne voir mais ne peut encore toucher). Elle se montre en effet dans des cabines, protégée par un miroir sans tain. Les prétendants ont piteuse allure :

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… même si certain sont plus menaçants :

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Il s’agit probablement du maquereau du lieu, homme qui s’aperçoit de la présence inopportune de Travysse à l’étage du lieu (réservé aux dames) et qui l’invite à descendre au rez-de-chaussée, non sans le suivre du regard avec insistance, comme méfiant.

Il en faudra plus pour empêcher l’industrieux Travis de retrouver Jane. À la ruse du miroir sans tain, il opposera celle d’éteindre la lumière afin que les deux anciens époux puissent enfin se voir. Mais avant cela, il usera de sa principale qualité : sa maîtrise du langage. Ayant commencé le film dans le mustisme le plus complet, Travis n’a cessé de développer peu à peu son langage (et on peu se demander si la tape amicale qu’il fait sur l’épaule de l’aède beuglant au-dessus du périphérique ne peut être vu comme le signe d’une transmission magique d’un pouvoir de la parole qui sera décisif pour lui) et peut donc maintenant entamer son monologue qui va lui permettre, avant d’annuler les effets du miroir sans tain, d’être reconnu par Jane. Et là aussi, il y a correspondance avec L’Odyssée puisque c’est par une parole reliée à un passé intime uniquement connu des deux époux qu’Ulysse parvient à faire admettre à Pénélope son identité (il s’agit de la fabrication du lit conjugal). Travis, lui, va conter (grand passe-temps mythologique) l’histoire aigre-douce de deux jeunes gens, avec leurs joies, leurs souffrances et leur séparation, le tout assaisonné de détails qui feront comprendre à Jane que l’homme qui se tient derrière le miroir sans tain est Travis lui-même.

Les retrouvailles ont enfin lieu. Les retrouvailles mais non leur consécration, c’est-à-dire dans le fameux lit. Dans cette Odyssée moderne, Wenders décide à la fin de mettre l’accent sur la transmission (1). À l’amour conjugal est substitué l’amour filial. S’échappant des griffes des prétendants, Jane ira rejoindre Hunter pour commencer avec lui une nouvelle vie…

Et nous ne sommes pas tristes pour Travis. J’ai évoqué plus haut de superposition de personnages. Serait-il finalement un Ulysse se muant à la fin en Sisyphe qui n’aurait plus qu’à retourner dans le désert du Texas pour y marcher perpétuellement sur ses cailloux ? Vision peu réjouissante mais on peut aussi voir Travis comme une préfiguration du personnage du film suivant Paris, Texas : l’ange Damiel,dans Les Ailes du Désir. Ce qu’il devient n’est finalement pas si important. Toute son errance n’ayant eu qu’un seul but, délivrer sa femme d’une souffrance originelle. Au début du film, il refusait de suivre son frère dans un boeing pour rejoindre plus rapidement Los Angeles. En effet, pour lui, le retour parmi les anges était trop tôt, il avait une bienfaisante odyssée à terminer…

(1) Thème qui serait à explorer dans la filmographie de Wenders. Dans son dernier film, Perfect Days, le personnage principal échoue par exemple à transmettre son goût du travail bien fait à son jeune collègue. Mais d’un autre côté, il y a bien transmission de certaines de ses facettes à travers sa nièce, Niko, qui comprend la beauté du personnage et qui continue d’utiliser un vieil appareil photo argentique qu’il lui avait autrefois offert.
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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar lvri » Jeu 28 Mar 2024, 10:49

Je ne connais pas le film, mais ta critique est vraiment chouette :super:
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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar Olrik » Jeu 28 Mar 2024, 10:52

Moins une critique qu'une petite rêverie improvisée.
Faut en tout cas que tu répares cette lacune (une vraie Palme d'or). Moi, je file réparer la mienne : en fait je n'ai jamais vu Les Ailes du désir.
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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar Mark Chopper » Jeu 28 Mar 2024, 11:16

Les Ailes du désir.


Jamais vu non plus. Peter Handke au scénario, ça peut être curieux.
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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar Olrik » Jeu 28 Mar 2024, 11:48

Le premier film de Wenders est d'ailleurs une adaptation de son Angoisse du gardien de but au moment du penalty .
Grosse filmo d'ailleurs, mine de rien, que celle de Wenders. Je tenterai bien en plus quelques docus (notamment Tokyo-Ga dont j'ai toujours repoussé le visionnage).
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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar Mark Chopper » Jeu 28 Mar 2024, 12:13

Tokyo-Ga


Rien que le passage avec Chishū Ryū qui raconte que Ozu se plaignait toujours de son jeu (mais ne critiquait jamais les autres acteurs), c'est magique.

En sachant que Ryū a joué dans 52 films d'Ozu sur 54 :eheh:
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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar Olrik » Jeu 28 Mar 2024, 14:19

Oui, ça devrait me plaire, ne serait-ce que pour l'aspect Japon 80's sur argentique.
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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar osorojo » Jeu 28 Mar 2024, 15:28

Très sympa Tokyo-Ga, vu l'année dernière de mon côté, et même en non initié d'Ozu, j'y avais trouvé mon compte.

Sinon ça me donne bien envie de me refaire une fournée de Wim Wenders ^^
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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar Alegas » Jeu 28 Mar 2024, 16:09

Challenge Wim Wenders en avril ? :mrgreen:
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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar Olrik » Jeu 28 Mar 2024, 16:12

osorojo a écrit:Très sympa Tokyo-Ga, vu l'année dernière de mon côté, et même en non initié d'Ozu, j'y avais trouvé mon compte.

Ce doit être le même sentiment devant son Pina, en étant un non initié de la danse contemporaine (celui-là je l'ai vu, et j'avais plutôt apprécié).

Alegas a écrit:Challenge Wim Wenders en avril ?

Why not ? 37 longs métrages au compteur, il y aura l'embarras du choix.
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Re: [Olrik] Mes 8/10 minimum de 2024

Messagepar Mark Chopper » Jeu 28 Mar 2024, 16:59

Alegas a écrit:Challenge Wim Wenders en avril ? :mrgreen:


C'est une bonne idée.
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