The Killer de David Fincher
(2023)
A chaque nouveau Fincher, je redoute l’arrêt de sa superbe succession d’excellents films, pour me retrouver devant un film mineur (chose qu’il n’a plus faite à mon sens depuis un quart de siècle), mais encore une fois ce réal arrive à me mettre sur le cul en bouleversant toutes mes attentes. Fincher, comme pour Mank, profite à nouveau de Netflix pour faire aboutir un projet de longue date : il avait en effet découvert la BD Le Tueur sur la fin des années 2000, a acheté les droits quelques années plus tard, mais n’avait jamais eu l’occasion de porter son adaptation à l’écran. C’est désormais chose faite, et quand bien même je ne connais pas le matériau d’origine pour comparaison, le constat est là : ça tabasse sévère. Alors clairement, c’est un Fincher qui risque de diviser, pour la simple et bonne raison qu’une partie du public risque de s’arrêter à la promesse initiale du script. Pour le coup, Fincher fait le choix d’un pitch de base tout ce qu’il y a de plus éculé, avec ce tueur qui va devoir se retourner contre ses employeurs suite à un contrat raté, mais il prouve aussi au passage, pour ceux qui l’auraient oublié, que le plus important n’est pas le cliché dont l’on part, mais ce qu’on en fait par la suite.
Sur ce point, la proposition est assez fascinante, à la limite de l'exercice de style épuré : rentrer dans le cerveau d’un tueur froid, méthodique, à la vision du monde arrêtée et binaire pour être efficace dans son travail, et le suivre au sein d’un voyage où quasiment tout donne l’impression qu’il est en plein contrôle, alors que les bases fondamentales sur lesquelles son mode de pensée se repose vont être mises à mal. Passé un prologue impressionnant de maîtrise qui, en 15-20 minutes, pose toutes les bases du personnage lors de l’attente d’une cible, on va donc suivre une quête vengeresse, mais jamais traitée à la manière d’un film d’action. Pour le coup, toute la mise en scène de Fincher et le rythme du métrage épouse le personnage principal, et on a donc un film qui assume pleinement une certaine lenteur, avec arrivée sur les lieux, analyse des mouvements de la cible, détection d’un point faible pour entrer dans son quotidien, puis exécution.
Bref, ce n’est pas un film à lancer en espérant voir un truc qui bouge : quand il y a de l’action, c’est généralement très rapide et inattendu (ce qui rend les exécutions encore plus glaçantes), à l’exception d’une séquence en milieu de film qui est, pour le coup, vraiment impressionnante et très violente (le genre de fight où l’on sent que le moindre coup de poing est un danger à éviter à tout prix). Le découpage en chapitres est plutôt bien vu pour le coup : d’une part il n’est pas trop intrusif, mais surtout il permet de marquer chaque étape qui, au final, va correspondre à une sorte de remise en question de cet anti-héros, que ce soit à travers l’empathie qui pointe le bout de son nez sur une cible collatérale, la dialogue avec Tilda Swinton et son histoire du grizzly, ou encore la finalité de la dernière victime suivie de l’épilogue et son monologue.
Le film a beau être froid, il ne manque pas de pointes d’humour noir en accord avec le personnage principal, mais qui arrivent à des moments vraiment inattendus, je pense particulièrement à un simili gag incluant une râpe à fromage qui a beaucoup fait rire la salle. Formellement, c’est du Fincher donc forcément impressionnant de maîtrise : chaque plan semble avoir été pensé de façon millimétrée, le montage très cut est d’une précision redoutable, et il y a un très très gros travail sur le montage sonore qui m’a vraiment impressionné, d’autant que le film multiplie les sources sonores en même temps, avec bruitages diégétiques, musique de Reznor/Ross souvent en mode sound design, la musique qu'écoute parfois le personnage via ses écouteurs, et voix-off. Un mot d’ailleurs sur cette dernière : ça faisait longtemps qu’une voix-off commentant ce qui se passe à l’écran ne m’avait pas parue aussi pertinente, et j’aime beaucoup son utilisation ludique avec, par exemple, la voix qui s’arrête soudainement lorsqu’il arrive quelque chose auquel le tueur ne s’attendait pas.
Enfin, big up à Fassbender qu’on n’avait pas vu sur les écrans depuis quatre ans et qui rappelle quel putain d’acteur il peut être. J’ose espérer que sa carrière saura trouver un nouvel élan à partir de là. Pour le reste de la distribution, le film se veut très économe : très peu de personnages importants, et des têtes déjà vues ailleurs mais dont on ne connaît pas forcément le nom, à l’exception de Tilda Swinton qui, pour le coup, se justifie par le fait qu’elle est probablement la cible qui fait le plus bouger la perception du tueur. Très curieux en tout cas de voir la réception du film par le grand public, que je redoute trop tiède alors que c’est, à mon sens, une nouvelle pièce qui impose Fincher comme l’un des plus grands cinéastes en activité.
8,5/10