Avant de découvrir la version de Bondartchouk, je me suis dit que découvrir cette version de Vidor permettrait une mise en bouche, autant dans le contexte de production (la version russe a été conçue en réponse à la sortie de l’américaine) que dans la densité du récit (il est de notoriété publique que cette version écourte grandement le roman. Alors bon, je n’ai jamais lu de Tolstoï, et la simple évocation du titre Guerre et Paix me fait penser un pavé tellement gros qu’il dissuade quiconque cherche à le lire, mais je dois avouer qu’à la sortie de cette version, ça me donnerait presque envie de tenter, tant on est sur du récit à la Docteur Jivago, où la petite histoire se mêle à la grande, et où le destin semble tout tracé pour des personnages qui se transforment en figures tragiques. Ceci dit, malgré le fait que j’ai été globalement emballé par le récit, ça se sent que le roman de Tolstoï a été grandement coupé pour cette adaptation : si les grandes lignes semblent avoir été conservées (et encore, la fin semble carrément précipitée), c’est davantage le traitement aléatoire réservé aux personnages qui choque.
On sent que c’est un récit où des dizaines de personnages interagissent les uns entre les autres, et le film en montre plusieurs, mais c’est souvent le temps d’un court passage où l’on devine une importance future, mais pour que ce soit au final complètement zappé. Le personnage du petit frère de Natacha me semble être un bon exemple : on le montre tout le long du film à clamer qu’il souhaite rejoindre l’armée, mais dès qu’il le fait on s’intéresse très peu à sa participation. L’autre gros problème de l'adaptation, c’est que tout va tellement vite qu’on a l’impression que ça se fait au détriment de la démonstration de ce que ressentent les personnages, ce qui complique donc l’empathie qu’on devrait avoir pour eux, ça donne au final un film assez froid. Dommage car Vidor se disait extrêmement intéressé par l’idée d’adapter Tolstoï, mais le contexte de co-production internationale aura raison de ses ambitions, avec un scénario écrit à plusieurs mains (pas moins de huit scénaristes crédités !), un Dino De Laurentiis qui s’imposera, et un montage sur lequel Vidor n’aura aucun contrôle, au point d’être écourté d’une quinzaine de minutes.
Ceci dit, tout n’est pas noir, et le film s’avère relativement agréable à suivre. Globalement, la durée ne se fait pas ressentir, notamment les deux premières heures qui passent comme un charme. L’ambition visuelle aide à cela : le film a coûté six millions mais donne l’impression de bien plus, avec notamment quelques séquences de bataille où des centaines de figurants interagissent à l’écran, et puis il y a la photographie de Jack Cardiff (clairement l’un des meilleurs opérateurs de l’époque) qui vient sublimer tout cela, surtout sur les passages plus intimistes. La contrepartie, c’est que la mise en scène de Vidor n’arrive pas vraiment à élever le tout, comme s’il filmait de façon plus fonctionnelle qu’autre chose (le recours à la voix-off sur certains passages fait très paresseux). Là encore, ce sont sans doute les contextes de tournage qui provoquent cela, mais le résultat est que le film n’a jamais la grosse impression épique qu’il devrait avoir. Concrètement, ça devrait être du David Lean avant l’heure, et malgré le fait que la reconstitution est au rendez-vous, ainsi que la lumière, il y a ce sentiment de trop peu, à l’exception de deux trois assez folles : une charge de cavalerie impressionnante de par le nombre de chevaux à l’écran, une scène de duel enneigée recréée en studio, et la traversée de la Bérézina par l’armée napoléonienne.
Côté casting, le film s’avère assez solide avec notamment un duo Hepburn/Fonda charismatique. J’ai lu que le choix de Fonda était considéré comme un gros miscast, car ayant le double de l’âge du personnage qu’il est censé incarner. Pour le coup, je ne peux pas dire que ça m’a dérangé, mais peut-être que je me rendrais compte du côté illogique de ce choix avec les autres adaptations. Sinon, il y a John Mills dans un petit rôle (là aussi, probablement beaucoup coupé vis à vis du roman), Anita Ekberg, Herbert Lom en Napoléon (choix assez intéressant), et enfin un Mel Ferrer qui souffle le chaud et le froid : parfois très bon dans son incarnation, et à d’autres moments clairement trop faible pour un rôle de cette stature, en témoigne sa scène de mort assez ridicule. La musique de Nino Rota manque de thèmes réellement mémorables, même si ça fait le job sur l’instant. C’est peut-être un film qui baissera dans mon estime une fois que j’aurais vu la version de Bondartchouk, qui a l’air complètement folle, mais en l’état ça se regarde tout de même malgré les défauts évidents.