En neuf voyages, je n’avais jamais eu l’occasion de me payer une toile au Japon. Il faut dire aussi que raquer un billet à 2000 yens pour voir un film sans sous-titres avait toujours eu de quoi me refroidir. Mais là, avec ce qui doit être (normalement) le chant du cygne du maître, impossible d’y couper, d’autant qu’Olrik jr et Olrik the 3rd étaient chauds pour le voir.
On arrive donc dans la salle où nous accueille un silence de cathédrale. Pourtant nous ne sommes pas seuls, une vingtaine de spectateurs sont déjà présents mais il semblerait qu’au Japon, ça se passe comme ça. On n’emmerde pas les voisins avec des bavardages intempestifs et à la fin, on attend sagement que le générique soit terminé pour se lever et quitter la salle.
Quelques bandes-annonces (le dernier Mission Impossible, un ou deux anime dont Sandman, d’après Toriyama), quelques publicités (tiens ? une pour le magasin de figurines à une demi-borne de chez nous !), enfin, juste avant le film, une vidéo pour dissuader les « eiga dorobo » de sortir leur matos afin de filmer l’écran. J’avais bien dans l’idée de prendre deux-trois photos du film mais finalement, je me suis dit alors que suivre la volonté du studio Ghibli, à savoir ne pas donner la moindre image du film, n’était pas plus mal.
Arrive l’habituel logo sur fond bleu, et commence Kimitachi wa dō ikiru ka.
Visionnage forcément imparfait et déroutant puisque ma connaissance du japonais ne m’a permis de saisir que quelques bribes des ressorts de l’histoire. Un revisionnage en France s’imposera donc pour pleinement l’apprécier. Pour l’heure, voici déjà ce que je peux en dire : le vieux a une nouvelle fois sorti la grosse artillerie. Vous pensiez qu’il était fini, que Shinkai et Hosoda s’étaient déjà partagé sa couronne ? Attendez de voir How do you live ?, vous comprendrez que non. Graphiquement, c’est du pur Ghibli façon Miyazaki. J’avais lu un article en anglais disant que c’était incroyable, avec tout un tas d’aquarelles en mouvement. Il faut ici préciser que ça n’a rien à voir avec le Kaguya-hime no monogatari de Takahata. C’est souvent beau, oui, surtout concernant les décors, mais rien de novateur par rapport à ce que fait habituellement Miyazaki.
Pour l’animation, c’est comme d’habitude, c’est-à-dire irréprochable et souvent inventif.
Quant au contenu, c’est… comment dire ? au choix : soit on y voit un ressassement des mêmes thèmes, des mêmes motifs, soit on considère le film comme une œuvre somme, un aboutissement de tout ce qui a été fait précédemment. Encore une fois, cette critique se base sur une compréhension très imparfaite de l’histoire. Il n’empêche que j’ai eu l’impression que de toutes les œuvres de Miyazaki, c’était celle qui tissait le plus de liens avec les précédentes (Chihiro surtout, mais aussi Mononoke, Le Château ambulant et même Le Château de Cagliostro, avec la petite bagnole du père du personnage principal évoquant celle de Lupin et Jigen) et qui allait permettre le plus de multiples relectures. Avec, au bout du voyage, une curieuse séquence, assez moebiusienne, qui rappelle les liens entre Miyazaki et Jean Giraud, ainsi que son admiration pour lui. Et de fait, le foisonnement graphique et narratif du film n’est pas sans rappeler L’Incal.
Deux heures imparfaitement comprises donc, mais deux heures qui ont été suffisamment saisissantes pour me faire comprendre que le vieux Miyazaki n’avait pas gardé ses derniers rugissements pour Le Vent se lève (film qui m’avait déçu). Avec, à la clé, toujours l’éternelle question : son dernier film ? vraiment ? Il dit cela à chaque fois ! Et pourtant, avec cette pépite, j’ai envie de dire : que raconter d’autre après cela ? Sur quoi rebondir ? En tout cas, le générique de fin m’a donné la certitude que ce serait bien le dernier. Je ne vais pas spoiler, ce que l’on voit durant le générique est tout bête, mais c’est, il me semble, une manière de boucler la boucle sans ambigüités.
Le vieux maître en a fini avec son art. Les petits maîtres vont donc pouvoir se disputer de bon sa couronne. On espère cependant pour eux qu’ils auront pleinement profité de cette ultime leçon ancrée dans le quotidien du Japon des années 40. Car c’est là aussi le charme de ce nouvel opus : plutôt que d’avoir un univers contemporain, moderne, avec des personnages souvent plongés dans leur keitai, leurs messageries et leurs réseaux sociaux, Miyazaki reste fidèle à son imaginaire : on a des bâtisses rurales pleines de charme, une campagne et ses mystères (là aussi, impossible de ne pas faire le lien avec Totoro) et de vieux bouquins poussiéreux. Kimitachi wa dō ikiru ka demande le film à des spectateurs japonais engoncés dans une vie corsetée par des occupations ne laissant finalement que peu de liberté pour s’évader. Le jeune héros du film, Mahito, n’a lui aucune hésitation quant à sa manière de vivre. Véritable avatar de Miyazaki (son père est, comme celui de Miyazaki, employé dans une fabrique de composants d’avion), il apparaît comme une sorte d’enfant misanthrope (ça ne se passe pas très bien à l’école pour lui), tourné uniquement vers ses proches et un univers imaginaire et créatif qui parviendra à contaminer le réel. Mais j’en dis déjà trop. Après l’incompréhensible Aya et la sorcière, le pire film du studio Ghibli, film commis par Miyazaki le fils, on enchaîne avec le meilleur, cette fois-ci venant du père. Et bien plus que la création d’un parc à thèmes qui, pour ma part, ne m’intéresse absolument pas, c’est bien là le plus important dans la vie de ce studio dont on peut se demander de quoi va être fait son avenir après un tel film.