MARCHE AVEC MOI : Nintendo piétineAprès avoir mesuré nos têtes, yeux, bras et jambes, la DS, comme la Wii, veut nous mettre aux pas, quitte à nous donner des allures de prisonniers en liberté surveillée. Marcher plus pour vivre mieux ? Vieille rengaine qui ne fera courir que les cabots…
Il y a un an presque jour pour jour, Nintendo nous avait forcé à tirer une ligne de démarcation entre jouer et bouger lors de la sortie de Wii Fit. Un logiciel d'aide à la gymnastique à domicile accompagné de sa planche qui franchissait, malgré les quelques jeux classiques relégués en coulisses du logiciel, une frontière dissociant sans prévenir le jeu vidéo de simples activités interactives.
De la part d'un des fondateurs du jeu vidéo lui-même, cette impression de reniement culturel avait le potentiel de provoquer un énorme choc culturel. L'onde révolutionnaire fut plus diffuse. De fait, le marché a depuis perdu beaucoup de ses certitudes industrielles. Quand quelques éditeurs prompts à réagir, comme Ubisoft, ont tout de suite saisi les nouvelles opportunités, d'autres plus lourds à bouger, comme Electronic Arts, ont attendu de constater que ces logiciels semi éducatifs avaient bel et bien du succès avant de se lancer.
Après avoir montré l'exemple avec ses Nintendogs, Programme d'entrainement cérébraux et autres Gym des Yeux et le succès d'un Wii Fit défiant tous les pronostiques, toujours en tête des ventes un an après sa commercialisation, Nintendo a ainsi laissé les autres éditeurs inonder le marché de logiciels pseudo ludo-éducatif tous publics. En 2009, le clivage entre grand public néophyte et gamers est consommé sur Wii et DS. Quand les ventes de Mad World sur Wii et GTA Chinatown Wars sur DS n'atteignent pas le potentiel attendu, on doute même qu'il existe encore une population de gamers traditionnels sur les consoles Nintendo.
Bête d'intelligence
C'est dans ce contexte que Nintendo revient à la charge avec Marche avec moi : Quel est ton rythme ? comme le dit son titre complet. Un programme sur cartouche DS accompagné d'un petit témoin d'activité à porter sur soi qui comptabilise les périodes d'activités physiques dans la journée.
Cette fois, alors que la population de gamers et peut-être d'observateurs spécialisés, regarde ailleurs, Nintendo ne prend plus aucune précaution. Le programme d'une laideur graphique terrible ne cherche même plus à intéresser l'œil, l'oreille ou le doigt d'un joueur qui pourrait passer par là. Même si la possibilité de récupérer par Wi Fi un Mii de sa Wii (à dire tout haut 3 fois très vite pour voir) se fait via une manipulation simple mais qu'on imagine presque ésotérique pour un non gamer. Après avoir braqué le podomètre face à la réception infra rouge de la DS, le compte rendu de la journée se présente sous forme d'un ou deux graphiques en 3 couleurs, ou presque, indiquant heure par heure les déplacements du mini gadget clignotant que l'on aura porté sur soi, dans sa poche ou à l'aide d'un clip ceinture fourni. Le programme peut mémoriser jusqu'à 7 jours les mouvements de 4 personnes (2 podomètres sont inclus dans la boite) et présente donc quelques tableaux comparatifs tout aussi hideux que le calendrier à tamponner de smileys. Le logiciel refait sans effort ni charisme le coup de Wii Fit en transformant à l'écran le podomètre en conseiller amical animé. De l'ouverture du programme du jour jusqu'à sa conclusion très rapide tellement il existe peu d'options (y compris les 2 embarrassants bonus à base de leçons de tourisme et d'économie d'énergie), celui-ci assène à l'utilisateur des suites de lieux communs totalement affligeants. En commençant par des questions sur le rythme des repas, en cherchant à rattacher à un animal totem le vague profil comportemental de la journée, pour conclure sur des "après la pluie le beau temps". Si l'on comprend bien qu'il s'agit d'un rapporteur d'activité physique et non d'un programme d'évaluation intellectuelle, doit-il pour autant insulter l'intelligence ? Quelle est ta cible ?
On se demande d'ailleurs aujourd'hui plus qu'hier à qui s'adresse ce logiciel parmi même la population de nouveaux pratiquants. Les petits enfants, à qui le niveau de communication simpliste pourrait convenir, n'ont certainement pas besoin d'être encouragé à faire du sport quotidiennement, l'agitation physique fait partie de leur prise sur le monde. Les adultes qui partent au bureau tous les jours comprendront dès la première consultation les limites du programme : une courte zone d'activité le matin pour se rendre à son travail, un grand blanc culpabilisant pour la période assise, un soupçon d'activité éventuellement à l'heure du repas, puis à nouveau un peu de mouvement pour revenir chez soi. Une journée où les 3000 pas minimum requis du programme devraient être atteints sans effort particulier à moins de faire du porte à porte avec sa voiture entre chez soi et son bureau. Inutile pour un enfant, insuffisant pour un adulte, ridicule pour un sportif, alors à qui ? La réponse se trouve peut-être dans le programme lui-même puisqu'à son lancement il demande, sans rire, à choisir entre un utilisateur humain ou un chien... au collier du quel le podomètre peut être clippé ! Nul doute que si l'on réussit à lui apprendre quelques rudiments de langage humain (un programme Touch Generations à venir ?) le canin sera heureux de repérer ses heures de sieste...
Gag sans humour
Pourquoi, au fond, s'inquiéter ou se préoccuper d'un tel programme plus gag que sérieux ? Pourquoi, même, le prendre vainement en grippe, le critiquer et énoncer pour la énième fois des évidences ? Parce que depuis que le logiciel est entre nos mains - un homme et une femme - le podomètre ne quitte plus nos poches. Qu'en teasant notre curiosité et notre crédulité comme les pages horoscopes des magazines féminins, il nous oblige chaque jour à vérifier ce ridicule comptage qui ne fait de toutes façons pas de différences entre les pas marchés, les tours de pédales, les sauts sur place, les coups de reins et autres mouvements saccadés du corps. Un trajet sur une route cabossé assis à bord d'un véhicule passera pour une période d'activité intense par exemple. Parce que sous la soi-disant assistance à la santé et découverte de son "rythme biologique" se cache un principe d'incantations proche de la superstition. Parce qu'alourdit artificiellement par une documentation en 11 langues et même avec ses 2 podomètres inclus,
ce logiciel bien léger coûte le prix prohibitif de 50 euros (sortie repoussée jusqu'au 5 juin). Parce qu'on imagine presque un équivalent avec un programme à 2 euros sur iPphone/iPod Touch. Parce qu'au lieu d'inciter ses nouveaux clients à s'intéresser au jeu vidéo au sens plein, Nintendo habitue les nouveaux utilisateurs à plus de paresse interactive.
Parce que, historiquement, Nintendo montre l'exemple et qu'en tirant sur la corde avec des logiciels formules aux interfaces copiées-collées il encourage le procédé déjà bien pratiqué par ailleurs. Parce qu'à partir des bonnes et saines intentions ludo-éducatives de Nintendo, la logique commerciale transforme la pédagogie en démagogie, la popularité en populisme. Parce qu'en tête des podiums des ventes, le vétéran du jeu vidéo donné pour mort au milieu des années 2000, coupe sans scrupule le cordon avec les gamers ingrats désormais en perte de repères. Parce que, aujourd'hui, Nintendo fait marcher son monde tout en faisant du sur place. overgame