Un petit mot rapide pour cet excellent bouquin, ma première incursion chez Emmanuel Carrère. Comme l'annonce la quatrième de couverture, à travers le parcours chaotique de ce petit voyou devenu poète maudit puis clochard, valet, écrivain branché du landerneau parisien des années 80, soldat des guerres balkaniques puis opposant à Poutine à la tête d'un parti de jeunes contestataires têtes brulées, Carrère dresse surtout une épopée à travers le monde de la seconde moitié du siècle dernier.
Son personnage est à la fois attachant, fascinant, drôle, touchant, insupportable, mégalomane, fou, dangereux, détestable et pathétique. L'intelligence de Carrère est de ne jamais chercher à nous imposer frontalement le personnage. Par l'usage de la première personne et la référence récurrente à sa propre vie, il nous place à ses côtés en observateurs attentifs mais conservant un certain recul sur le parcours de Limonov. A ce titre, c'est un vrai régal de lire les réflexions de l'auteur, toujours calme dans ses explications, complexe, à la recherche d'une vraie compréhension du comportement de son personnage sans jamais porter de jugement à l'emporte pièce. On se sent ainsi plus proche de lui que de Limonov, c'est à dire qu'on observe tout comme lui les aventures du poète russe en enviant son courage, sa détermination, sa fureur de vivre mais, dans le même temps, en se disant qu'une telle vie, pour héroïque qu'elle soit, réserve décidément bien trop de misère.
C'est aussi un roman indispensable pour tenter de comprendre ce qu'est la Russie post-URSS. Même pour quelqu'un d'aussi informé et connaisseur que Carrère, on sent qu'il est parfois un peu perplexe face à la situation du pays de ses ancêtres. C'est aussi plus largement un portrait du monde occidental des années 70/80 (à ce titre, le passage à L'idiot international est vraiment drôle).
Au final, on referme le livre sans trop savoir ce qu'il convient de penser de Limonov. On est attendri par ce type qui a osé exprimer et réaliser toute cette rage adolescente que beaucoup ont ressenti ou ressentent encore et par ce vieil homme à la tête d'un parti plus que minoritaire et presque hors la loi dont les seuls faits d'arme, au delà d'un discours hyper violent se limitent en réalité à bousculer légèrement ce pauvre Gorbatchev et à scander quelque slogans. Mais on est aussi parfois dégoutés par ce personnage jusqu'au boutiste, excessif, refusant les compromis mais pas les contradictions, toujours du côté de ceux qu'il estime opprimés et faisant preuve d'un relativisme faisant froid dans le dos.