Le démon, Hubert Selby Jr. (1976)
Harry White est un jeune cadre brillant, est aimé de ses proches, a du succès avec les femmes et est promis à un grand avenir, comme l'American Way of Life des années 60-70 en propose. Pourtant, Harry est habité par le Démon. Au départ, une simple tendance à coucher avec tout ce qui bouge à tout moment, mais au fur et à mesure, coucher ne suffira plus, et c'est la descente aux enfers de ce personnage habité par la peur que Selby décrit ici. D'abord atteint de pulsions sexuelles qui lui font perdre la notion du temps, Harry ne parviendra plus a faire taire ce démon, et devra passer à une étape supérieure, le vol, avant de passer au tabou ultime. Et tandis que Harry se laisse emprisonner par ses pulsions, c'est sa vie personnelle et professionnelle qui se désagrège, et le jeune cadre dynamique de devenir un zombie spectateur de sa propre vie.
Ce livre m'a fait penser dans un certaine mesure à Un Roi sans divertissement de Jean Giono, dans ce sens où le personnage principal du livre de Giono partageait la caractéristique commune avec celui du livre de Selby de s'ennuyer. Harry White s'ennuie dans sa vie toute tracée, entourée de gens dont il ne se sent jamais proche, et cet ennuie se couple progressivement avec la peur de ce même ennui. C'est sans doute ce qui le pousse à rechercher sans cesse l'extrême, mais pas comme un adolescent qui chercherait seulement a accumulé les expériences, ici Selby nous fait sentir que son personnage est comme forcé à pousser le limites, à peine de mort. A ce titre, la fin, sans concession, apparaît comme la seule issue possible. On pense aussi à une version années 70 de Shame de Steve McQueen, même si ce dernier se consacre uniquement à la pulsion sexuelle sans aller plus loin.
L'écriture de Selby est très accessible, beaucoup plus que ces précédents livres à en croire ce que j'ai pu lire (c'est mon premier Selby). Quelques passages seulement rappellent le courant de conscience utilisé par Faulkner. Un livre qui fout un gros coup au moral, en sachant nous rendre attachant son "héros", et nous plaçant comme spectateurs impuissants de sa déchéance. Perso, je me suis identifié à plusieurs reprises à White et le moins que l'on puisse dire c'est que ce n'est pas ce livre qui va nous réconforter.