Ici, parlez des livres sur l'univers des jeux vidéo, les essais, les artbooks et guides en tout genre...
Pour commencer, je vais partager avec vous un bouquin que je suis entrain de lire et qui me semble très pointu, parfois assez complexe (surtout pour quelqu'un qui n'a pas fait de philo et qui manque donc de vocabulaire pour tout saisir) mais très intéressant et complet. L'auteur y cite MGS, Pong, GTA, Wing Commander, Minecraft, Blueberry Garden, Everquest etc...il fait aussi le parallèle ente ciné et l'univers vidéo ludique en citant Silent Hill, Mario, Existenz, Avalon... L'auteur mêle donc la philo (l'intro est une discussion imaginaire entre Socrate et Mario) à un univers souvent décrié et loin d'être vu comme un art à part entière. Les 30-40 premières pages définissent le jeu vidéo et on se rend compte que c'est très complexe de "définir" quelque chose. Usul citait le livre je ne sais plus où. Il a d'ailleurs posté une vidéo sur youtube qui se rapproche du livre :
Voici quelques passages qui m'ont interpellés et surtout bien plu :
Citation d'intro :
" Même dans ses formes les plus abstraites, la théorie ne nous permet jamais de nous échapper de notre propre subjectivité, du jeu de nos émotions, de nos expériences vécues. Si nous cherchons à nier ces forces vitales, nous avons de bonnes chances d'obtenir de mauvaises réponses ou de poser les mauvaises questions." Tara McPherson et Jane Shattuc.
-
- Socrate : Elles exploitent (les technologies culturelles) un dispositif technique particulier, le livre, le film, la salle de projection, l'écran, pour produire une certaine forme d'expérience. Disons un état livresque ou un état filmique. Et ces états instrumentés sont des états de retrait vis-à-vis du cours ordinaire de la vie sociale : ce qui n'a pas été moins reproché à la lecture et au cinéma qu'aux jeux vidéo.
-
En règle générale, nous détournons plutôt que nous inventons de manière ad hoc. Les ordinateurs n'ont pas été conçus pour faire des jeux, mais plutôt pour calculer les équations de diffusion de la bombe atomique. Et nous jouons avec. Mais les livres n'ont pas non plus été conçus pour produire de l'état romanesque. Le cinématographe, '"l'invention sans avenir" des frères Lumière, ignorait tout au point de départ de ce que nus appelons aujourd'hui le film. Et la scène du théatre tragique provient encore d'un détournement de l'espace de la cérémonie et du culte.
-
" Attention, Monsieur, vous marchez dans notre jeu !" Des cailloux alignés par-terre , qu'est ce que c'est ? Le passant l'ignore. Le jeu n'est rien d'autre que ce que fait le joueur quand il joue. Une fois qu'il a cessé de jouer, que reste t-il de son jeu ? Les joueurs envolés, les cailloux retournent à l'état de cailloux." Jacques Henriot
-
En la matière, la théorie procède toujours d'une certaine forme d'amour de son objet. cet amour, elle doit le tenir à distance, mais elle ne peut l'éliminer, car il est l'objet même de la théorie. Ou selon la formule de Metz : " Il faudrait idéalement ne plus aimer le cinéma, et cependant l'aimer encore. L'avoir aimé et ne s'en être dépris que pour le prendre pour cible par l'autre bout. Ne pas avoir oublié les inflexions affectives du cinéphile que l'on a été, mais ne plus être envahi par lui".
-
Si on élimine les inflexions affectives du joueur, si on oublie ce que le jeu nous fait quand il s'opère, il ne reste plus rien. On a peut-être gagné un bon objet, quand on discute des règles ou de la narration, mais on a aussi perdu son objet, le jeu, au nom de l'objectivité.
-
" Les jeux vidéos sont l'entrainement parfait pour la vie en cette fin de siècle, où l'existence quotidienne exige une capacité à traiter des informations de plusieurs types simultanément[...]. Le poste de travail a un pied dans le cyberespace.[...]Ceux qui sont nés avec un joystick possèdent un avantage en nature.[...]Les joueurs sont adaptés à un monde qui ressemble de plus en plus à une expérience d'arcade." Jessie Cameron Herz
-
" Le livre de la vie est le livre suprême, qu'on ne peut ni fermer, ni rouvrir à son choix; le passage attachant ne s'y lit pas deux fois. Mais le feuillet fatal se tourne de lui-même ; on voudrait revenir à la page où l'on aime, et la page où l'on meurt est déjà sous vos doigts". Maceline Desbordes-valmore
-
Peut-être qu'une partie de Solitaire , cela n'a l'air de rien, mais il s'agit tout de même du jeu vidéo le plus joué au monde : 7.8 millions de joueurs uniques (sur la tranche 25-54 ans aux USA), si l'on prend les estimations de l'enquête Nielsen 2009, à des années lumière devant la première production à gros budget, World of Warcraft (Blizzard, 2004) , qui , sur les mêmes critères, peine à dépasser la barre du million et demi de joueurs.
-
Une fois la forme saisie, analysée, maîtrisée, une fois une stratégie satisfaisante arrêtée, alors le plaisir du jeu se dissipe, le jeu n’a plus rien à offrir. C’est là sa limite naturelle et inévitable. Aucun jeu n’est destiné à durer indéfiniment, nous apprend, fataliste, Koster.
-
En effet, ce n’est pas tant la mise en œuvre d’une stratégie en soi qui procure du plaisir que ce moment de recherche à tâtons d’une stratégie gagnante. Une fois que celle-ci a été trouvée, le jeu perd une bonne part de son intérêt.
-
Tous les jeux ne sont pas des puzzles, et le plaisir du puzzle lui-même ne tient pas tout entier dans la résolution de l’énigme.
-
"Pour les boxeurs, les cyclistes ou les acteurs professionnels, l’agôn ou la mimicry a cessé d’être une distraction destinée à les reposer des fatigues ou à les changer de la monotonie d’un travail qui pèse et qui use. Il est leur travail même, nécessaire à leur subsistance, activité constante et absorbante, pleine d’obstacles et de problèmes, dont ils se délassent justement en jouant à un jeu qui ne les engage pas. » Le fun s’est envolé.
-
Les jeux vidéo réalisent en effet, sans le savoir, des univers à la manière de la philosophie de Leibniz, dont ils retiennent, du coup, quelques-unes des propriétés les plus caractéristiques. Voici que les jeux vidéo font de la métaphysique sans le savoir et que ces propriétés métaphysiques imprègnent l’esprit du jeu. La philosophie de Leibniz repose en effet sur une figure pour le moins originale du Dieu créateur. Le Dieu de Leibniz ne se contente pas de créer le monde sur un coup de tête, mais il engendre le meilleur des mondes possibles à la suite d’un calcul d’optimum. Le Dieu de Leibniz a ceci de particulier qu’il fait le monde en calculant. Il est le premier ordinateur, et notre monde, le premier monde virtuel, un monde qui apparaît comme le résultat d’un calcul et dans lequel chaque entité possède son programme.
Dieu calcule ainsi avec son intelligence infinie le meilleur des mondes possibles, celui qui offre le plus de richesse et de diversité à partir des règles les plus simples : le plus de complexité possible à partir du code le plus court. « Dieu a choisi celui qui est le plus parfait, c’est-à-dire celui qui est en même temps le plus simple en hypothèses et le plus riche en phénomènes, comme pourrait être une ligne de géométrie dont la construction serait aisée et les propriétés et effets seraient fort admirables et d’une grande étendue. » Ainsi, il faut imaginer notre monde comme la pointe avancée d’une infinité d’autres univers possibles, tous plus ou moins différents du nôtre, mais qui ne réalisent pas la condition de l’optimum. À côté de notre univers, le plus parfait, il existe une série infinie d’univers de moins en moins parfaits, munis de leur propre code ou de leur propre équation. Dans ces autres mondes, par exemple, nos gestes ou nos actes seront différents, si tant est que nous y apparaissions encore. Ils définiront d’autres univers possibles, suboptimaux, que Dieu n’a pas choisis. On imagine aisément les difficultés que suppose une telle description, que ce soit pour la question du mal ou pour celle, connexe, de la liberté humaine.
En effet, dans un tel monde, engendré par ce Dieu qui n’est autre que le plus parfait des calculateurs, chaque entité individuelle possède son propre programme, réagit en fonction de son algorithme : « La notion d’une substance individuelle enferme une fois pour toutes tout ce qui lui peut jamais arriver, et en considérant cette notion on y peut voir tout ce qui se pourra véritablement énoncer d’elle, comme nous pouvons voir dans la nature du cercle toutes les propriétés qu’on en peut déduire. » Dieu agence le monde de façon à ce que ces programmes individuels se composent au mieux avec l’ensemble des autres pour produire le meilleur des mondes.
-
C’est la logique qui préside aux très impressionnants speed-runs, dans lesquels certains joueurs font montre de leur savoir-faire, en terminant un jeu au plus vite, d’une seule traite, sans aucune faute, ni aucun à-coup. Ici, le joueur s’est tellement intégré à l’univers du jeu qu’il est devenu lui-même un programme.
-
Le jeu vidéo est un passe-temps d’illettrés, de créatures misérables, ahuries par leur besogne et leurs soucis. Un spectacle qui ne demande aucun effort, qui ne suppose aucune suite dans les idées, ne soulève aucune question, n’aborde sérieusement aucun problème.
Le dynamisme même du jeu vidéo nous arrache les images sur lesquelles notre songerie aimerait s’arrêter. Les plaisirs se succèdent avec une rapidité fébrile, si fébrile même que le joueur n’a presque jamais le temps de comprendre ce qu’on lui glisse sous le nez. Tout est disposé pour que l’on n’ait pas lieu de s’ennuyer, surtout !
Le jeu vidéo est sans mystère, sans détours, sans tréfonds, sans réserves. Il s’évertue pour nous combler et nous procure toujours une pénible sensation d’inassouvissement. Par nature, il est mouvement ; mais il nous laisse immobiles, appesantis et comme paralytiques. Le jeu vidéo parfois m’a diverti, parfois même ému ; jamais il ne m’a demandé de me surpasser sur le plan spirituel. Ce n’est pas un art, ce n’est pas de l’art.
Remplacez « jeu vidéo » par « cinéma » et vous retrouvez l’original. Ce texte, modifié par mes soins, remonte en réalité à 1930. Dans ses Scènes de la vie future, une violente charge contre la « civilisation américaine », le romancier Georges Duhamel consacrait un chapitre entier au cinéma et à ses méfaits. Le cinéma avait alors presque quarante ans. Le jeu vidéo va aujourd’hui sur ses cinquante.
La morale de l’histoire est facile : tout comme Duhamel s’est, en son temps, trompé sur la question du cinéma, les détracteurs du jeu vidéo, nos Duhamel d’aujourd’hui, s’aveuglent lorsqu’ils refusent d’y reconnaître une forme d’art à part entière. Les critiques de la culture populaire se répètent sans bouger d’un iota.