Le gros avantage avec George Miller, et l’une de ses grandes qualités en tant que réalisateur et auteur, c’est le fait qu’il ne choisisse jamais la voie de la facilité, et par conséquent ne fasse jamais la même chose. C’est quelque chose qui se voit particulièrement sur sa saga Mad Max, où chaque opus a sa propre personnalité, mais aussi sur les autres suites que Miller a pu faire au cours de sa carrière :
Babe 2 est un film singulièrement différent du premier opus, idem pour
Happy Feet 2 qui a des ambitions narratives toutes autres que son prédécesseur. De ce fait, il était évident que Furiosa n’allait pas être le Mad Max : Fury Road bis que nous vendait la Warner avec sa campagne marketing, et effectivement, sur beaucoup de points,
Furiosa s’avère être l’antithèse du métrage dont il est la préquelle.
George Miller avait livré un film survolté, où les morceaux de bravoure s’enchaînent toutes les dix minutes, au montage particulièrement rythmé, et à l’histoire concise autant que possible, ici il réalise une fresque vengeresse qui s’étale sur plusieurs années, où les personnages s’accumulent, au rythme lent et où l’action est assez rare. Finalement, les seuls réels points communs entre les deux films se trouvent dans les personnages, l’univers dépeint (il n’y a pas de grand écart comme il peut y en avoir entre deux opus de Mad Max) et dans le fait que Miller, une nouvelle fois, privilégie la narration par l’image, ce qui donne lieu à des films peu bavards. Une approche particulièrement appréciable pour un film qui a souvent été, à son annonce, décrit comme un projet opportuniste, mais qui s’avère être finalement la continuité logique de la carrière de Miller, et plus particulièrement de son film précédent,
Three thousand years of longing. Car plus qu’un film de vengeance,
Furiosa est surtout un récit qui justifie complètement son sous-titre : on est bel et bien devant une saga, une histoire à caractère mythologique qui nous est contée autant visuellement que oralement par le History Man.
La grande surprise de l’histoire choisie par Miller est le fait que Furiosa a beau être l’héroïne du métrage, elle n’est pas forcément celle qui prend le plus de place à l’écran. D’une part, les guerres de clans prennent une part non négligeable de l’intrigue sans qu’elle n’y prenne part, mais de l’autre côté il y a le personnage de Dementus, antagoniste en apparence à l’extrême opposé de Furiosa, qui est finalement celui qui permet de la traiter comme si elle se reflétait en lui. Ce personnage, c’est à mon sens la meilleure idée du film : un élément chaotique né du chaos même, qui déstabilise les forces auxquelles il s’attaque, un personnage over the top en apparence mais qui cache une véritable vulnérabilité (Hemsworth est excellent pour le coup), et sur lequel Miller travaille beaucoup symboliquement, que ce soit sur son ours en peluche (qui perd un bras au même moment que Furiosa) ou sur les couleurs dont il se drape (il passe du blanc au rouge, puis au noir). Autre personnage surprenant, celui du Praetorian Jack, qui permet un niveau de lecture supplémentaire pour la relation Furiosa/Max.
Pour autant, le personnage de Furiosa n’est pas mis de côté, elle reste le cœur du métrage, toute l’action, à quelques exceptions près, est vue à travers ses yeux, et c’est assez fascinant de voir à quel point Miller gère bien l’exercice compliqué de la préquelle : on est pas ici dans le fan service, avec des justifications anodines pour arriver au personnage de Charlize Theron (gros boulot d’ailleurs sur la transformation visuelle subtile entre les différentes actrices), on est vraiment dans la construction d’une figure mythologique (tout ce qui touche à la symbolique du fruit et de sa graine, c’est fort), à tel point que le récit se permet même plusieurs fins, comme si l’histoire, racontée oralement dans le Wasteland, avait engendré plusieurs versions différentes. Moins facile d’accès que
Fury Road (autant je conseillerais ce dernier à beaucoup de gens, autant
Furiosa a un rythme bien à lui et des choix narratifs audacieux qui peuvent décontenancer), le film n’en est pas moins fascinant à bien des égards, et les seuls réels défauts qui viennent entacher l’ensemble sont plutôt à chercher du côté de certains CGI qu’on devine plus bâclés qu’ils ne pouvaient l’être dans l’opus précédent, et dans l’OST de Junkie XL qui est nettement moins inspiré.
Pour le reste, c’est du tout bon, notamment du côté de la mise en scène où Miller se surpasse à nouveau. Certes, le film est moins in your face que
Fury Road, mais ça n’empêche pas le bonhomme, à quasiment 80 piges, de délivrer une masterclass de réalisation, avec des plans complètement dingues (le long plan du monster truck de Dementus qui poursuit le véhicule de Furiosa et Jack
, celui avec les mecs en jet ski qui prennent leur envol en parachute, je pourrais en citer des dizaines d’autres) et comme d’habitude un découpage d’une finesse absolue. Que ça fait du bien de voir un film pareil au milieu de blockbusters qui ont tendance à tous se ressembler dans leur exécution. Même si je garde une préférence pour
Fury Road, qui est à mes yeux un idéal de cinéma,
Furiosa ne démérite pas. C’est un film plus exigeant, moins évident qu’il n’en a l’air, mais nul doute que ça lui permettra justement de gagner en qualité au fil des années et des visions.