par jean-michel » Jeu 12 Juin 2008, 07:50
lu sur la tribune de genève:
Phénomènes», un succès... marketing
| 00h01 M. Night Shyamalan livre un mauvais film très bien vendu sur le Net.
EMMANUEL CUÉNOD | 12 Juin 2008 | 00h01
«Ce sera mon film le plus effrayant.» «Je veux que cette expérience paranoïaque soit tatouée à même la peau des spectateurs.» «Les gens qui sortiront de la salle auront la chair de poule; du moins ceux qui auront tenu bon jusqu'à la fin du film.» Ces phrases sont de M. Night Shyamalan. Depuis quelques semaines, elles passent en boucle sur le Net, accompagnées d'une bande-annonce sanglante de Phénomènes (The Happening), son nouveau film. Il n'en fallait pas davantage pour déclencher un vaste buzz sur la Ciné-Toile. Après un dernier opus plutôt faible (La jeune fille de l'eau), l'auteur du Sixième Sens, de Signes et du Village allait enfin revenir à ses amours premières, le thriller fantastique mâtiné d'une solide dose d'horreur.
Machine grippée
La critique avait d'ailleurs été prévenue: pour ne pas déflorer son intrigue, Phénomènes ne serait pas montré à la presse avant le jour de sa sortie en salle. Ce qui nous ramène très exactement à hier. Hier, soit le jour où l'impeccable machine à créer de l'événement imaginée par le cinéaste et son équipe marketing s'est soudainement grippée au contact de l'unique élément qui manquait encore au film pour exister: des yeux pour le voir.
Or que voit-on, précisément, dans Phénomènes Rien. Ou plutôt, plus rien. Les images teintées d'hémoglobine de la bande-annonce? Disparues du montage final (il faut bien vendre le futur DVD director's cut du titre). L'ambiance délétère des extraits? Diluée dans 84 minutes d'une insupportable torpeur, où tout semble vécu à distance par des acteurs débitant sur un ton monocorde des dialogues souvent ineptes. Et cette intrigue si importante, dont il fallait absolument conserver le secret? Une compilation maladroite des Oiseaux d'Hitchcock, de la série Lost, de L'invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel et d'Une vérité qui dérange, le docu écolo d'Al Gore. Où cela mène-t-il? Nulle part, évidemment.
Reste qu'une telle opération prouve à quel point, aujourd'hui, Hollywood a pris la mesure des formidables possibilités qu'offre l'internet en matière de marketing direct. Quitte à tromper le «client» sur la marchandise (en livrant, comme ici, un teaser ultra-efficace mais relativement gore, puis en le substituant, au dernier moment, par un lancement plus conforme à la réalité du produit) ou à en faire des tonnes au rayon autopromotion, avec metteur en scène appâtant le chaland comme à la bonne époque des pionniers du cinéma lorsque celui-ci n'était encore qu'une attraction de fête foraine.
On ne s'étonnera guère de voir M. Night Shyamalan se prêter à ce jeu. Le réalisateur n'avait-il pas pressenti, avant la plupart de ses collègues, que le DVD ne serait pas seulement un «produit dérivé» de l'exploitation d'un film en salles mais aussi un objet en soi, possédant ses propres particularités? Une intuition qui l'aura poussé à apparaître lui-même à l'écran (déjà!) pour expliquer au spectateur l'absence de telle ou telle séquence tournée au montage définitif et défendre ses options de mise en scène. A l'époque où l'interactivité se résumait à la découverte, sans aucun commentaire annexe, de ces fameuses «scènes coupées», on avait crié à la révolution. Devant l'attrape-nigaunaute Phénomènes, on reste cette fois sans voix...
Balexert/Rialto/Rex