Le combat ordinaire, le monde tel qu’il est maintenant, celui du quotidien. Un homme, photographe, perd pied face à la cruauté du monde et préfère prendre l’air frais d’une maison de campagne isolée dans un coin perdu. Pour se poser les bonnes questions sur lui, son métier, sa famille. Trop de cauchemars, de misères humaines sanglantes qui ne le laissent plus dormir, fissuré par des crises d’angoisse qui le rongent. D’ailleurs, ce passé presque turbulent et horrifique, Manu Larcenet préfère le mettre de côté pour s’emparer du présent, qui n’est pas moins paisible. Encore plus éreintant, plus délicat où il faut penser à tout et à tout le monde. Au passé et au futur. De petit boulot de rédaction à une mise en perspective de livre ou de galerie, de vie de couple à la disparition d’un père renfermé et énigmatique, Marco va faire face à ses responsabilités.
Le présent est le carrefour de la vie, enivrant mais perturbant. Tout un tas de décision qui s’envolent, qui changent un destin. Il y a quelque chose de très naturel dans l’écriture du combat ordinaire, une manière de capter les émotions, d’appesantir les situations, de matérialiser les pensées de ses hommes et femmes, avec une grande dignité, où les dialogues se dissolvent pour laisser place à de longues plages contemplatives embrumées où l’introspection de son personnage principal fait rage. Un questionnement perplexe et initiatique. Cette ancrure dans la réalité rejaillit aussi dans les convictions sociales de Manu Larcenet qui transparaissent ouvertement dans les pensées de Marco. Au contact des ouvriers, des piliers de bars, d’opportunistes artistes ; l’image, la photo, son immobilité, sa représentation prend tout son sens.
Parfois un peu impromptue, cette bonne conscience sociétale face au monde de consommation et d’industrialisation, n’est jamais vaine ; faisant alors s’épaissir le contour d’une idée qui s’éclaircit toujours par le prisme d’individus qui ont des choses à dire ou à dévoiler. Le combat ordinaire est une œuvre humanisme, au versant humoristique touchant – la relation entre frère avec pétard et soirée console/pizza – mais qui à force de gratter le vernis de ce monde dispatché entre un réseau urbain qui détruit les hommes tant dans leurs organismes que dans les motivations, et une ruralité étant un antre qui cache bien des solitudes, montre toutes les fêlures de tout à chacun.
Manu Larcenet a un coup de crayon toujours juste tant dans la simplicité du trait visuel que dans la noirceur de l’humain à travers des cases expressionnistes perforantes de vérité, laissant le lecteur à la fois songeur et pantois devant une identification qui fait tout de suite, tilt. La grande force du récit est avant tout cette parfaite assimilation du réel avec ses changements de ton adéquats. Passant du rire aux larmes, de l’immense joie à la grande tristesse, de vannes entre frérots et discussion nocturne sur les élections présidentielles. Comme le nom de cette œuvre l’indique, le dessinateur n’invente pas de péripétie incroyable et épique aux quatre coins du monde, ne fait éclore aucun personnage venu d’une autre dimension.
L’ampleur du quotidien est plus forte que tout, une bonne cigarette dans une pelouse rafraichie par le vent, les cris stridents d’une enfant, le journal intime de son père. La vie. Ni plus ni moins, vu dans le regard d’un simple appareil photo.