T-Men (titre original plus significatif que sa trad. française lorsqu'on en connait la raison) trône clairement parmi les meilleurs films noirs de A. Mann avec
Raw Deal, d'abord grâce à un scénario d'une grande efficacité et mené de manière fine. A l'instar de
Border Incident, nous suivons l'infiltration de deux agents du Trésor Public, avec la même petite tonalité patriotique ("ces hommes sacrifient leur vie pour faire leur devoir"), mais avec une histoire bien plus intéressante et immersive, malgré la présence d'une voix-off de nouveau bien encombrante mais souvent utile par son soucis du détail. Sans lignes narratives secondaires inutiles, nous suivons de près la destinée de ces deux personnages en plein coeur de la criminalité.
La première partie est ma préférée, nous renseignant sur tous les trucs permettant de s'intégrer dans le milieu, à savoir l'allure physique ou vestimentaire, background, connaissance du milieu, parrainage d'un petit truand, avec une couche de brutalité pour montrer qu'un gangster ne se laisse jamais faire. Les deux acteurs ont la gueule de l'emploi et se complètent bien, l'un jouant sur sa brutalité et sa présence physique, et l'autre se la jouant plus futé. La voix off nous décrit la progression méthodique à suivre pour arriver à leurs fins, et la patience requise pour rassembler tous les indices nécessaires, même les plus anodins, à la résolution de l'enquête. Chaque personnage rencontré est comme un nouveau chaînon rajouté au succès de leur mission, et on montre aussi brièvement les sacrifices personnels qu'ils ont à faire.
Jusqu'au bout, difficile de prédire quel personnage mène la danse, et ces deux agents auront à jouer particulièrement avec l'un de leurs maillons faibles, pour exploiter la mine d'info qu'il représente mais aussi pour le manipuler contre les autres au moment opportun. Tout est permis en ce milieu où l'appât du gain est maître, un thème classique que le réal' déploiera souvent. Il applique aussi tous les codes du genre de l'infiltration : soupçon des truands, assassinat de la balance et d'un flic devant les yeux de son collègue, vengeance de ce dernier.
De nouveau, la maîtrise de J. Alton à la photo est au service de la mise en scène âpre de A. Mann, en valorisant la manière dont ces deux hommes, tel un fil traversant le trou d'une aiguille, doivent jouer leurs cartes avec précaution, dans un milieu où le soupçon est la mère des vertus, et le moindre faux-pas, la mort. Je l'ai déjà vu meilleur ailleurs, mais sa touche personnelle apporte toujours un plus à l'atmosphère générale du film, entre réalisme et expressionnisme, particulièrement la scène d'introduction et celle des bains turcs. Enfin, il y un bel usage des ombres pour animer les scènes d'infiltration ou de violence, et de la lumière pour palper la tension des visages pris en gros plan.
Parmi les bémols, outre un usage abusif de cette voix-off monocorde nous tirant vers le docu', j'ai trouvé que les deux flics maîtrisaient parfois trop bien leur jeu, malgré une tension omniprésente. Et le caractère propagandiste, bien que moins saoulant que dans
Border Incident, n'évite évidemment pas l'opposition bons flics sans bavure/mauvais gangsters prêts à tout (ou presque, quand ça les arrange) pour se débarrasser des obstacles indésirables. Mais Mann s'en tire bien avec une telle contrainte, par une réal' qui "épuise" les personnages.