Alors que je m'étais bien ennuyé au cinéma, cette révision a été salvatrice. Au fond, le script est simple, une sorte de quête prométhéenne d'un homme qui va tout faire pour sauver sa femme, peu importent les moyens, quitte à enfreindre les lois humaines et divines. Mais la mise en scène transcende cela, sublimée par un montage qui fait correspondre trois histoires, telle une symphonie lyrique ou un livre d'images (ce qui n'est pas sans rapport avec l'histoire elle-même). En outre,
The Fountain trouve une place idéale dans l'oeuvre du réalisateur, faisant alterner comme toujours, dans un tourbillon d'images et de musique, moments de grâce enivrante et de névrose auto-destructrice.
Par un montage habile qui fait correspondre ces trois histoires qui n'en forment qu'une, nous accompagnons 1) un conquistador à la quête de l'arbre de vie en terre maya, pour sauver l'Espagne des Lumières et sa Reine des griffes de l'inquisiteur fanatique ; 2) un scientifique qui n'hésite pas à essayer tout traitement médical même non approuvé pour guérir sa femme du cancer (comme par hasard, une plante) ; 3) un bouddhiste qui veut sauver un arbre, que l'on devine être sa femme réincarnée, en le conduisant au coeur d'une étoile mourante: c'est la lutte la plus intérieure, mystique, empruntant au mythe de l'Eden. Au début, le spectateur est un peu perdu au sein de cette histoire d'amour désespérée et démultipliée par les différents espaces-temps. Mais progressivement, les connections se font, faisant redoubler d'intensité cette quête d'immortalité, ce désir effréné de ce qui manque, mais aussi, finalement, l'acceptation de l'inévitable. La cohérence d'ensemble se soude une fois que l'on comprend que toutes ces histoires sont liées au livre de la femme que le médecin doit terminer, pour amorcer son évolution spirituelle, et enfin renaître de ses cendres. L'aventure tord alors la frontière entre fable et réalité (ce qui nous amène à un degré d'interprétation passionnant, car on réécrit au début le fameux verset biblique portant sur l'expulsion d'Adam et Eve hors d'Eden, et la suite de l'histoire nous montre qu'il s'agit d'une reprise personnelle de ce mythe, et donc si l'acte d'écriture était le véritable moyen d'atteindre cette éternité tant recherchée?)
Au final, il s'agit vraiment de l'oeuvre la plus ambitieuse et personnelle de Darren Aronofsky, pari réussi malgré quelques redondances nécessaires, qui font partie de son style (pour insister sur l'obsession d'une part, et sur l'inévitable d'autre part) mais parfois trop nombreuses (sûrement pour ne pas perdre le spectateur en route). La réalisation (et surtout la photographie) est vraiment magnifique, et certaines des connections sont juste magiques et poignantes, comme par exemple la relation faite entre la chair de la femme et l'écorce de l'arbre, dont on devine la portée au fur et à mesure. Les allers-retours entre passé, présent, et futur, et ce durant les trois séquences, ne sont jamais trop pesants, et donnent la mesure à multiples niveaux de la vaine ambition, de l'acceptation de la mort comprise dans le cycle de la nature, et surtout de l'importance de la présence au moment où elle est requise. Une expérience unique, et malgré les apparences, pas si compliquée à suivre.