The Master de Paul Thomas Anderson (2013) - 8,5/10
La grande qualité d’un film de Paul Thomas Anderson est de se trouver là où on ne l’attend pas forcément. Avec son rythme léthargique, sa partition musicale obsédante, élégance visuelle sans égale, The Master est le travail d’un réalisateur que l’on sent sur de sa force sans que l’on sache vraiment où il veut faire atterrir son film. The Master n’est pas une simple étude sur les méfaits de la scientologie ou sur la puissance sectaire qu’elle peut entretenir sur la vie de certaines personnes dans le but de profiter de leur détresse financière ou personnelle. Bien évidemment, on voit tourner les mécanismes de cette petite vie communautaire et comment des mots et des émotions peuvent retourner le cerveau, à l’image d’une incroyable scène de psychanalyse faite les yeux fermés et à toute vitesse.
Mais le dernier film du réalisateur américain est bien plus ambigu, bien plus mystique et bien plus humain que cela. On voit s’agrandir la rencontre entre le « maitre » de la Cause et un ancien marine, alcoolique jusqu’à l’os. The Master traite de la relation entre deux hommes, dans les années 1950, qui manquent tous les deux de confiance, et qui vont essayer de s’émanciper de leur complexes grâce au regard de l’autre. Ce qui est troublant, c’est qu’on ne sait jamais d’où provient cette fascination qu’ils ont pour l’un pour l’autre. On ne sait pas si c’est amical, opportuniste, jaloux, fraternel, amoureux, sexuel, ou peut être tout à la fois. Lancaster parle beaucoup, il semble à l’aise dans la société, manipulant à sa guise la moindre faille des gens mais on sent quelque chose d’indescriptible, comme lors de cette séance durant un diner mondain ou lors de ses faces à faces avec sa femme sournoisement autoritaire –l’excellente Amy Adams-, on sent un malaise, on voit un colosse au talon d’Achille. Traitant de l’abandon de soi, qui navigue entre folie et croyance, on voit s’accumuler les faux semblants, les diversions psychologiques, les énervements colériques explosés au grand jour. La relation entre les deux n’est pas juste une relation dominé dominant, c’est vraiment une dialectique de croyance en soit soi. Le Maitre a besoin de Freddie pour croire en ce qu’il dit lui-même, en ce qu’il énonce dans ses livres, pour se convaincre de son autorité intellectuelle. Quant à Freddie, il voit en Lancaster une épaule sur laquelle se reposer, pour croire en quelqu’un, pour donner un sens à sa vie. Cette connexion dominé/dominant s’apparente presque à du sadomasochiste.
Derrière la maitrise formelle du réalisateur, qui nous gratifie encore une fois d’un travail impressionnant sur la plastique et sur le montage, The Master reste un film difficile à dompter, très austère et presque renfermé sur lui-même, à l’image des prestations de Joaquin Phoenix et Philip Seymour Hoffman, où on l’on se pose inévitablement la question de savoir s’ils sont au leur sommet de leur art ou si leur cabotinage s’avère gênant. Paul Thomas Anderson livre une œuvre mystérieuse, hypnotique, énigmatique parfois hermétique montrant la violence des rapports humains et l’amplitude de nos agissements en société face au vide de notre existence.