Bloodstained Gang Honor, de Kinji Fukasaku (1970) L'histoire : Un clan de yakuzas doit vider un bidonville de ses habitants afin de permettre l'implantation d'une nouvelle usine. Mais le conflit moral, qui les voit retrouver d'anciens amis et voisins parmi cette population pauvre, se double d'un conflit avec un autre clan...Kinji Fukasaku n'a jamais aimé les films issus de la vague du
ninkyo eiga. Des criminels propres sur eux, sans véritable zone d'ombre, idéalisés et toujours prêts à sauver la veuve et l'orphelin, quittes à sacrifier leurs intérêts personnels ? Très peu pour lui. L'homme connaît trop bien la réalité du Japon de l'après-guerre et notamment les populations pauvres amassées dans les bidonvilles, exclues de la course à la modernisation : il préférerait mettre en scène des longs-métrages plus proches de la réalité politique et socio-économique de son pays, avec des yakuzas ressemblant à ceux qu'il doit, malgré lui, côtoyer dans son métier. Ces derniers, en effet, prennent une part de plus en plus active dans la production cinématographique : tout d'abord recrutés comme conseillers sur les
yakuza eigas en vogue, certains finissent par devenir acteurs et beaucoup tentent de contrôler l'industrie pour blanchir l'argent généré par leurs opérations illégales.
Il faudra à Fukasaku plusieurs films pour imposer un nouveau sous-genre : le
jitsuroku eiga. En somme : des
yakuza eigas plus chaotiques, qui cassent l'image proprette de ces criminels.
Bloodstained Gang Honor peut ainsi être vu comme un film de transition, puisqu'il trouve l'équilibre entre les codes du
ninkyo, qui attirent de moins en moins le public, et ceux du
jitsuroku, qui exploseront véritablement avec la série
Combat sans code d'honneur. D'un côté, on retrouve l'opposition de deux clans, l'un qui se soucie encore, un minimum, du bien-être des populations et l'autre qui ne s'intéresse qu'au pouvoir et au profit. Mais les personnages semblent moins lisses et lorsqu'ils tentent, seul ou à deux, de détruire le clan adverse avec des armes blanches pour seul arsenal, le réalisme l'emporte. Dans un
ninkyo, la vengeance est menée à bien et le clan corrompu finit exterminé.
Mais ici, il ne saurait être inquiété et ceux qui restent fidèles aux valeurs du
bushido ne peuvent que mourir et disparaître, comme les symboles d'une époque révolue. La mise en scène de Fukasaku, encore assez sage, annonce pourtant le style qu'il développera tout au long de la décennie 1970, avec ses décadrages lorsque la violence explose et certains éléments narratifs empruntés au documentaire, qui appuient le côté réaliste de l'ensemble. Et cette volonté d'assurer la transition entre
ninkyo et
jitsuroku se retrouve aussi dans ses choix de casting, puisque celui-ci est dominé par deux acteurs : Koji Tsuruta, la grande figure du
ninkyo avec Ken Takakura, et Bunta Sugawara, amené à devenir l'un de ses interprètes fétiches. Deux monstres de charisme qui annoncent la mort d'un sous-genre et l'avènement d'un nouveau, dont Kinji Fukasaku sera le maître incontesté.
Note : 7,5/10