Un Long Dimanche de Fiançailles de Jean-Pierre Jeunet
(2004)
Première vision depuis sa sortie vidéo et je revois grandement le film à la hausse. Dans mes souvenirs, Un long dimanche de fiançailles était un film relativement mineur dans la filmographie de Jean-Pierre Jeunet, alors qu'il est en fait l'une de ses plus belles réussites, tant d'un point de vue technique que sur le plan de l'adaptation. Après le succès inattendu du Fabuleux destin d'Amélie Poulain, Jeunet avait encore à prouver au grand public qu'il était capable de livrer un autre grand succès populaire tout en arrivant à ne pas se répéter. La pression était là, et le choix de Jeunet se tourna étonnamment vers l'adaptation d'un roman au succès honnête, à l'univers très différent de son précédent métrage. Enquête intimiste provoquée par la recherche d'un être cher après la Première Guerre Mondiale, Un long dimanche de fiançailles présentait avant tout des difficultés scénaristiques. Certes, le point de vue abordé était celui d'une héroïne unique, mais les très nombreux personnages secondaires et témoignages faisant parties intégrantes de l'histoire faisaient de l'ouvrage un véritable défi de transposition cinématographique.
Pourtant, avec un budget très confortable d'une cinquantaine de millions (Jeunet ayant eu les aides de la Warner après le succès d'Amélie Poulain sur le territoire américain), le réalisateur livre un travail d'adaptation remarquable qui doit énormément à son montage. Sur près de 2H15 de film, le rythme ne s'arrête jamais tout en laissant respirer les situations et le moindre personnage traité via un flash-back donne la réelle impression d'exister et ce, malgré les courtes durées d'apparitions (une quinzaine de minutes tout au plus pour la plupart des personnages secondaires). Mais la force du récit vient évidemment dans la façon d'impliquer le spectateur dans la relation de Mathilde et Manech, une relation qui ne se rattache pourtant qu'à de simples flash-back mais qui délivre, via l'acharnement de la jeune femme, une véritable puissance dramaturgique. Contrairement à ce que beaucoup pensaient à l'époque de la sortie du film, le récit ne joue pas la carte du suspense puisque même si le sort de Manech est le point central du métrage, c'est véritablement les rencontres via l'enquête qui s'avèrent être les éléments qui font exister l'univers, et qui dévoilent petit à petit les secrets de la tranchée Bingo Crépuscule.
Certes, on pourra trouver quelques défauts mineurs dans la narration, notamment quelques ellipses et facilités gênantes du fait que le métrage se veut raconter une enquête où l'on suit le moindre pas de l'héroïne (le personnage du détective est un peu facile sur ce point, ainsi que le passage où l'on retrouve les traces d'une personne allemande rencontrée par hasard dans un café de façon très aisée) mais en l'état, le film est un travail formidable d'adaptation qui n'était pas forcément voué au succès. La réussite est d'autant plus belle que le film est, sur le plan technique, certainement le plus abouti de la carrière de Jeunet. Entre une retranscription magnifique de la Première Guerre Mondiale (et très violente de surcroît), une photographie de Delbonnel à tomber par terre et une mise en scène inspirée où l'on retrouve les mouvements de grue et travellings millimétrés, le film a véritablement de quoi flatter la rétine. La composition musicale n'est pas en reste puisque Jeunet fait appel pour la seconde fois à Angelo Badalamenti qui livre un thème des plus inspirée et qui magnifie certaines séquences du métrage (l'introduction est à elle seul un très grand moment de cinéma en terme d'ambiance).
Enfin, le casting habituel de Jeunet répond une nouvelle fois présent (ce sera d'ailleurs le dernier rôle de Ticky Holgado) tout en s'étoffant d'une galerie de petits nouveaux assez imposante (Jodie Foster, Albert Dupontel, Jean-Paul Rouve, Clovis Cornillac, Gaspard Ulliel ou même Marion Cotillard dans un de ses meilleurs rôles). Seule ombre au tableau, la présence de Audrey Tautou qui, malgré un jeu convaincant, à vraiment du mal à se renouveler et donne la réelle impression de voir une Amélie Poulain bis même si les deux personnages sont très différents l'un de l'autre. Un excellent film qui s'inscrit aisément parmi les plus belles réussites populaires du cinéma français ces dernières années, clairement l'un des sommets de la carrière de Jeunet, en espérant qu'il retrouve rapidement ce niveau de qualité par la suite.
NOTE : 9/10