par Val » Ven 01 Nov 2013, 14:16
C'est en effet un film assez difficile d'accès en fin de compte je crois. Cela est en grande partie du au fait que l'on hésite sur certaines scènes entre le génie et le nanar : les scènes érotiques (Cruise imaginant sa femme se faisant sauter par une sorte de marin si mes souvenirs sont bons, l'orgie,...) semblent sortis d'un mauvais film érotique, les scènes en extérieur provoquent une inquiétante étrangeté (comme l'a dit Scorsese, ça ressemble à New-York et pourtant, quelque chose ne tourne pas rond),... Cela tient, il me semble, au fait que le film est construit comme un cauchemar, celui d'un bourgeois qui se retrouve confronté à tous ses fantasmes refoulés. Il y a d'ailleurs une gradation dans les fantasmes : on démarre avec quelques flash sortis d'un porno chic qui viennent à la tête de Cruise puis la prostitution, la partouze, la pédophilie, le meurtre. D'ailleurs, chaque "transgression" est accompagnée de sa punition, comme si Cruise était infantilisé pendant tout le film : la pute et la peur du SIDA, la partouze et la mort de la fille,...
Il me semble qu'il y a une distanciation de la part de Kubrick, qui critique la morale bourgeoise et la normalisation des imaginaires, qui conduit à la frustration (Cruise étant embarqué dans ce cauchemar par sa prise de conscience qu'il ne comprend peut-être pas tout aux désirs de sa femme), frustration dont il ne parvient pas à s'affranchir, puisqu'il restera spectateur pendant tout le film. Mais Kubrick s'interroge en même temps sur lui-même (suis-je capable de comprendre la femme qui partage ma vie ?). Je trouve le film encore plus d'actualité à l'époque où la normalisation de fantasmes et des imaginaires s'accélère avec la démocratisation du porno.
Et contrairement à ce qu'on peut lire, le film n'est absolument par puritain, c'est une oeuvre critique et angoissée, mais qui s'achève sur une note d'optimisme (finalement, ce n'est pas important que nous nous comprenions, baisons). Il me semble aussi qu'on trouve dans Eyes Wide Shut la concrétisation de toutes les obsessions de Kubrick qui signe par ailleurs son premier film qui n'est pas un film de genre (tout juste pourrait on le qualifier de film "européen" si on peut y voir un genre à part entière) et qui conclut merveilleusement son Oeuvre (ou qui aurait pu en ouvrir une nouvelle phase). Je crois qu'il s'agit probablement de mon Kubrick préféré.