Flight de Robert Zemeckis
(2012)
Une fois n'est pas coutume, c'est encore une belle surprise que nous livre là Robert Zemeckis, qui s'impose une énième fois à mes yeux comme l'un des réalisateurs américains contemporains les plus intéressants à suivre. Car certes, le bonhomme n'est jamais à l'abri de faire un mauvais film, mais sa volonté de varier les genres est une qualité rare, tout comme sa façon d'aborder le cinéma de façon différente à chaque œuvre. Après son passage à la performance capture qui aura laissé trois films marquants chacun à leur façon, mais avec la motivation commune et avant-gardiste de prouver les capacités d'une telle technologie à l'industrie cinématographique, Zemeckis revient au film-live plus par contrainte financière que par véritable choix et entreprend finalement de ressortir son astuce éternelle pour retrouver le succès public, à savoir prendre les attentes du public à contre-pied pour mieux le surprendre. A la vision de la promotion de Flight, il était difficile de savoir de quoi allait parler exactement le film, mettant plus en avant le crash d'avion qui n'est finalement que l'élément déclencheur d'un récit beaucoup plus apocalyptique mais à petite échelle.
Flight est donc avant tout l'histoire d'un homme face à son addiction, celle d'un pilote de ligne perverti par les vices de la vie et qui trouve le bonheur uniquement dans le fond d'une bouteille d'alcool. Le crash de son avion, et le sauvetage miraculeux de la majorité des voyageurs le remettront finalement en question dans ce qui va rapidement devenir un combat pour reprendre sa vie en main. Pourtant, Flight n'est pas seulement un simple script très américain dans l'esprit comme il y paraît à première vue. En effet, Zemeckis permet au film d'avoir un véritable thème sous-jacent avec l'intégration profonde de thèmes religieux qui donnent à repenser le récit comme celui d'une destinée ou d'un acte divin. Beaucoup trouveront ce choix douteux et encore plus seront déroutés par une tentative d'explication que pourtant chacun connaît au moins une fois dans sa vie, mais le fait est que Zemeckis donne à son film une profondeur sans pareille via cette décision risquée, et lui permet surtout d'atteindre une sincérité humaine qui se fait bien trop rare à l'heure actuelle dans les salles de cinéma. Le film est d'autant plus efficace que Zemeckis joue véritablement sur l'empathie entre le spectateur et le personnage présenté, changeant de position à chaque séquence et présentant le pilote à la fois comme une victime, un manipulateur, un manipulé, un incapable, un être abject et enfin comme un être humain à part entière. Un changement de point de vue qui en vient à toucher directement le spectateur qui, obligé de se remettre en question quand à la volonté de voir le personnage se sortir innocenté de ce bourbier, ressort grandi d'un film intelligent qui cache véritablement bien son jeu.
Comme d'habitude, la mise en scène de Zemeckis se reconnaît à merveille, arrivant à s'effacer devant son sujet tout en livrant des séquences subtilement maîtrisées (la séquence de la découverte de l'autre chambre, qui joue uniquement sur la perception sensitive du spectateur et la symbolique d'objets du quotidien) ainsi qu'un climax monstrueux en début de métrage, où le cinéaste arrive à dépasser en terme d'immersion une situation qu'il avait déjà abordé avec son Cast Away, à savoir le crash d'un avion. Une séquence où le choix des cadrages devient essentiel, et où Zemeckis profite avantageusement du manque de budget pour faire ressentir au spectateur une tension ultra efficace. Enfin, difficile d'aborder un film comme Flight sans évoquer son casting. Denzel Washington livre là ni plus ni moins que sa meilleure performance avec une justesse vraiment étonnante, suivi de près par une galerie de seconds rôles excellente avec notamment John Goodman (qui a droit à une séquence vraiment étonnante par son aspect rentre-dedans), Kelly Reilly, Don Cheadle et Bruce Greenwood. Zemeckis oblige, la composition d'Alan Silvestri est de qualité. Une énième très bonne surprise de la part d'un cinéaste qui a encore beaucoup à revendre. En espérant que le succès de Flight lui permettra d'aborder à l'avenir des projets plus personnels et risqués.
NOTE : 8/10