Sam Mendes réalise là le meilleur James Bond, le plus profond, le moins kitsch (juste un peu avec le perso de Bardem), le moins "Bond" dans l'esprit malgré les clichés de la saga obligatoire (sinon ce n'est plus Bond) et surtout le plus beau visuellement. Deakins à la photo c'est un atout plutôt énorme, chaque plan, chaque lumière est un régal, on a l'impression de voir un film à l'ancienne -qui traite justement du temps qui passe, des méthodes qui changent, de Bond qui vieillit, du passé, des origines- dans une époque moderne et des conflits modernes (le monologue de M qui dit que les nouveaux ennemis ne sont plus des nations mais des individus animés par leur propres motivations personnelles, souvent la vengeance, résultant de notre monde qui tant vers l'individualisme plutôt que -comme par le passé- un certain nationalisme/patriotisme...).
C'est d'ailleurs tout le fond du film avec une remise en question totale de la confiance que portent les agents 00 envers leurs chefs. Qui sont-ils vraiment ? Quelles sont leurs motivations ? Leurs choix sont-ils totalement objectifs et animés par leur seule foi en leur patrie ? M qui décide de donner l'ordre de tirer sur Bond pour tuer en même temps son ennemi ; le choix de laisser le personnage joué par Bardem dans les mains de son ennemi etc.... Peut-il y avoir des sentiments, des liens entre des personnages luttant avant tout dans l'ombre pour une sécurité nationale ou des intérêts (politiques, géopolitiques etc...) ? L'usage que font l'OTAN et les autres organismes, services secrets etc..de leurs agents est-il éthique ? Le film sous-entend à de nombreux passages que M apprécie Bond, connait sa vie, son passé et ressent de l'empathie pour lui mais elle doit garder son sang froid et ne pas se laisser influencer par ses émotions car il y a plus important que la vie d'un homme: la vie de milliers, millions , milliards d'hommes. Seulement voilà : le véritable ennemi c'est nous-mêmes et dans SKYFALL il s'agit d'un ancien agent, très habile et bien formé mais souffrant et seul.
Pour Bond c'est pareil (la scène avec la sulfureuse femme fatale du bateau et sa mort) et pour Bardem c'est la même chose: tous peuvent sembler très froid mais ils sont tous habités/torturés par leurs sentiments, leurs vécus , certains choix etc... Bond aurait pu devenir comme Raoul Silva en se laissant emporter par un désir de vengeance. On sent qu'il n'a pas lus autant confiance qu'avant dans le système qu'il défend malgré son désir de reprendre son poste. Que défend-il vraiment ? La saga James Bond a toujours été très politique dans ses histoires mais rarement claire : Qui dirige qui ? Pourquoi ? Les agents sont des pions qui répondent aux ordres d'une organisation gouvernementale de type service secret de l'ombre (M insiste pas mal sur l"ombre" dans laquelle il faut pénétrer pour combattre les nouveaux ennemis qu'on ne connait pas, qui ne sont pas sur une carte) mais par qui tout ceci est financé, qui est e haut de l'organigramme ? Les Bond restent et resteront a jamais évasifs sur leur concept.
Ce qui compte ici, c'est de remettre en question tout ce qui fait la saga "James Bond" en réexploitant la filière du début, en évoquant pourtant sa fin, son âge avancé, son déclin pour finir par la réssuciter et sous-entendre que Bond est toujours actif, toujours motivé et que donc, métaphoriquement, les anciennes méthodes ne sont pas aussi obsolètes qu'on veut bien le penser surtout quand on efface/oublie leur passé car c'est toujours ce qu'il faut pour repartir à zéro et oublier ce qui nous hante, nous blesse et nous fait souffrir (ce que ne fait pas Raoul à l'inverse de Bond qui pardonne M, retrouve la foi en sa profession et en lui-même, en ses capacités) . Le personnage de Q n 'est donc pas là pour rien tout comme sa réplique
" Vous vouliez un stylo explosif ? On n'en fait plus aujourd'hui". Pour redonner un coup de jeune au vieux il faut du sang neuf et il suffit de voir que c'est ensuite Mallory qui reprend le job de M pour s'en apercevoir. Faire du neuf avec du vieux. L’utilisation de l'Aston Martin qui lui sauve pourtant la vie en est une preuve.
Un agent 007 sur le déclin, fatigué, limite désabusé, une organisation directement menacée par un ennemi qu'elle s'est elle-même créée : le danger n'est plus russe, chinois ou arabe ni même roumain, il est anciennement interne et connu , britannique et torturé indirectement par ses propres employeurs qui le laissèrent seul face aux ennemis. C'est même intéressant de voir que la menace qui plane sur le film se dirige vers l'OTAN et des agents infiltrés dans des groupes terroristes étrangers qui seront tous abattus petit à petit par la faute de leur employeur avant tout. Secrets, mensonges, manipulations, SKYFALL ne s'étend pas trop sur tout ça. D'un agent délaissé nait une haine vengeresse envers ses pères = plan terroriste visant à mettre au grand jour des agents infiltrés dans des groupes très dangereux = les agents sont en danger = les pays entrent en guerre suite aux assassinats de leurs agents. je simplifie mais en gros c'est ça. Les personnages sont au centre du film lui-même peu généreux en action finalement. On sent que l'image et le visuel comptent avant tout. Mendes et Deakins stylise toutes leurs scènes sans composer de morceaux d'anthologies pour autant. Pas de courses poursuites infernales s'attardant 15 plombes, pas de fusillades improbables, pas de scènes de séduction à gogo, tout reste discret, juste évoqué (notamment la relation entre Bond et Agent Eve), la sulfureuse femme du film est rapidement expédiée dans le monde des morts lors d'un jeu sadique (Mendes veut-il souligner par là le fait qu'il joue avec les codes de Bond ?) et tout le dernier acte fait penser à un western (paysage limite no man's 'land, maison isolée, 2-3 plans western, les victimes sont réfugiées et s'arme en vue d'un gros clash on sent le gros climax final, le grosse pétarade et ça ne loupe pas etc..) plutôt qu'à un James Bond. Les scènes d'action sont très efficaces, sans esbroufe, pas ou très peu de CGI, c'est vif, très crédible, le plan de la chute de Bond au début est excellent, l'explosion, les quelques gunfight, course-poursuite, on reste sur du classique mais mis en scène avec une caméra, une vraie et un vrai langage cinématographique : tout est lisible, clair, fluide, c'est parfait.
Donc sur la forme rien à dire , c'est parfait, c'est classe, beau, superbe et ce putain de final restera dans les annales par ce choix évident de revenir à quelque chose d'authentique: lande écossaise, immense maison familiale qui rappelle un lourd passé, un trauma, un siège magistralement mis en scène, une grosse explosion que fuit les perosnnages du film pour se plonger dans les Ténèbres, comme fuyant l'Enfer pou se réfugier..dans une chapelle où meurt la doyenne des agents 00, une "mère" au sens propre, une mère pour des orphelins qui n'agissent pas pour eux-mêmes ni par leur propre volonté mais pour un salut national qui se meurt, auquel on ne croit plus justement par les décisions sans concessions, qui peuvent sembler égoïstes, que prennent les dirigeants pour protéger des intérêts, des systèmes, des sociétés, des pays, des peuples et ..des hommes car dans SKYFALL c'est pour quelques noms d'agents qui ont fuis sur le net que l'on se bat.
Les acteurs sont tous corrects dans l'ensemble et Craig signe une superbe interprétation, Bardem est excellent : il pousse son côté british bisexuel à merveilles et demeure très intriguant, dérangeant même et imprévisible. Son trauma corporel m'a fait fait penser au Joker de Dark Knight, les rôles sont différents mais se démarque de la même façon, tout comme Skyfall fait beaucoup penser à Dark Knight, film peut-être involontairement précurseur d'une nouvelle manière de mettre en scène -et surtout de raconter les blockbusters. Pour autant, SKYFALL remet en question mais ne dénonce jamais ; se cherche un rythme (le film est souvent trop lent dans son montage et quelques plans sur des bâtiments ou autre prennent trop leur temps, les transitions sont parfois lourdes) et la richesse offerte écrase trop le reste. Un peu long, un peu bavard au début, long à se mettre en place...une fois Bardem à l'écran le film passionne, le fond prend son ampleur, le film mérite de l'intérêt. Avant, c'est plus quelconque. En conclusion un film très Nolanien sur la forme , l'univers et l'ambiance voir même un peu pour le fond mais Mendes est plus fin, plus doué dans les scènes d'action et l'écriture est bien plus subtile. SKYFALL, un film sur la nostalgie.
En prime on a une très bonne chanson et un putain de générique à la Millénium.