Connu surtout pour ses films de samouraï (
Harakiri,
Rebellion), Masaki Kobayashi a réalisé aussi des drames sociaux, comme la
Rivière noire. A l'image d'Akira Kurosawa, le metteur en scène s'évertue à montrer les effets de l'après-guerre sur la société japonaise, mais quand même en moins intéressant par son histoire, et moins inspiré par sa réalisation. Ainsi, nous suivons toute une classe ouvrière vivant à côté d'une base militaire américaine, au rythme d'une musique de jazz très classe. Le rythme est beaucoup moins lent que les films précités, notamment grâce à la musique mais aussi à l'époque filmée, bouillonnante de problèmes, parfois tout bêtes, tournant autour de la survie de base. Au départ, il n'y a pas réellement de personnages principaux. L'histoire prend son temps à se mettre en place, et nous découvrons toute une galerie d'individus, et surtout le contexte misérable dans lequel ses derniers doivent vivre, souvent contraints à contourner les règles pour survivre, allant même jusqu'à gruger sur la question des fosses sceptiques, afin d'alimenter des petits jardins de légumes. Dans un premier temps, plusieurs niveaux de récits s'entrecroisent : une propriétaire qui travaille main dans la main avec un petit voyou notoire (Nakadaï) pour raser un foyer et placer un hôtel à la place, un communiste qui oeuvre avec les résidents à ce que ces derniers ne payent pas plus que ce qu'ils doivent en réalité, les militaires qui filent en douce pour voir les prostituées japonaises. Bref, tout le circuit de la misère en partie entretenue par ceux qui ont un peu de pouvoir : les petits propriétaires, les militaires, et les escrocs de quartier, avec comme sujet dominant, la reconstruction du pays. Cette dernière n'est pas montrée de manière très reluisante, basée sur des escroqueries, et tout ce qui vient avec : lâcheté, manipulation, et rapports de force entre tous les individus, y compris et surtout entre ceux qui sont en bas de l'échelle.
Puis finalement l'histoire se resserre autour de trois individus : un jeune étudiant, le chef des voyous, et une jeune femme. Ce trio amoureux atypique est intéressant par la dynamique qui est mise en place. Le jeune est un petit rebelle à sa manière, affirmant la vérité tout haut, tandis que les autres la contournent ou mentent, par exemple sur une question de perfusion et de groupe sanguin (alors qu'une vie est en jeu). Il incarne en quelque sorte le "non" de la rébellion, la droiture face à l'injustice et même face à la misère qui est parfois contrainte à contourner certaines règles, matérielles ou relationnelles (exemple : une femme mariée qui se met à tapiner). La jeune représente la femme japonaise soumise, et aussi bernée, la vérité lui étant cachée à son insu (exemple : la nature de sa relation avec le voyou). Enfin, le voyou incarne les personnes qui ont un petit pouvoir, et exploite à sa guise ceux qui en ont pas. Nakadaï est très bon dans le rôle de ce personnage rusé, manipulateur, antipathique, bien qu'il n'atteint pas encore le niveau qu'il aura dans ses rôles les plus connus. Les deux autres acteurs principaux sont très bons également, la femme en tête, jouant bien la femme torturée par son besoin de retrouver son honneur sali par cet homme. Le déroulement du récit part donc dans plusieurs directions, mais sans que le spectateur ne soit jamais perdu.
Je trouve que la chronique sociale prend un peu trop souvent le pas sur l'histoire de ces trois personnes, si bien que je ne me suis pas senti impliqué à fond. Cependant, la fin du film est noire pour l'époque, bien qu'assez logique : les ouvriers bernés jusqu'au bout sans qu'ils ne se soient soulevés, l'honneur de la femme est retrouvé, mais dans la douleur (histoire de dire qu'elle n'aurait jamais du se soumettre au voyou au nom de l'amour), et finalement seul le jeune s'en sort, par la seule force de sa volonté. Mais je trouve quand même que les deux films sociaux d'Akira Kurosawa que j'ai vus (
L'ange ivre,
Le chien enragé) étaient plus équilibrés que celui de son compatriote. D'autre part, le N & B est assez maîtrisé, avec des cadres souvent assez classes, mais il n'y a aucune expérimentation proposée ou idée vraiment originale, et les transitions sont de simples fondus enchaînés. Au final, un film quand même relativement mineur dans la filmographie de Kobayashi, bien que sa patte soit déjà présente, et que le sujet soit assez intéressant.