Le narcisse noir est ma première incursion dans le cinéma de Michael Powell, et il s'agit vraiment d'une belle découverte pour moi. Je m'étais déjà un peu familiarisé avec le thème du couvent avec le magnifique
Au risque de se perdre (1959) avec Audrey Hepburn. Mais il s'agit ici de quelque chose de plus pittoresque : l'établissement d'un couvent dans un ancien harem en Inde.
Deux cultures différentes parfaitement mises en valeur par l'usage de la couleurAinsi, deux cultures et deux manières de penser totalement différentes viennent se frotter les unes aux autres : d'un côté l'ordre, la discipline, et les désirs personnels des soeurs enfouis sous une chape de mission collective, et de l'autre, l'indiscipline, une vision infantile du monde, et les désirs qui jaillissent naturellement d'eux. Dans chaque groupe, au moins un personnage nuance quelque peu une représentation aussi tranchée. Mais ce qui m'a le plus émerveillé, c'est l'insertion du matte painting pour figurer l'Himalaya en arrière-plan, tellement plus beau que nos CGI actuels, et l'utilisation du technicolor, dont les couleurs flamboyantes tranchent avec l'austérité de principe des bonnes soeurs. Même les ombres semblent lumineuses par ce procédé.
Différences culturelles et réactionsIl ne se passe pas concrètement beaucoup de choses dans le récit lui-même. Dans une première partie, nous assistons à l'organisation du travail des religieuses (infirmerie, école pour enfants et pour jeunes filles, jardinage), dont les capacités sont mises à rude épreuve par les conditions de vie difficile (altitude, grands espaces, eau non potable ...), les différences culturelles, et les flash-backs antérieurs aux voeux monastiques, interruption dérangeante dans le train-train des tâches quotidiennes. A titre d'exemple, les sons de cloche sont accompagnés par ceux du cor traditionnel ou la croix chrétienne est à côté d'une peinture évoquant le Kamasutra. Ce sont tous ces petits détails qui viennent nourrir l'étrangeté de deux cultures très différentes qui constituent selon moi l'intérêt de la première moitié du film. Les soeurs réagissent de manière très différente par rapport à tout ça : ténacité, distraction, ou folie. Et d'ailleurs, elles auront à faire des compromis (un maître spirituel Hindou installé sur les terres du couvent, le jeune Général qui veut prendre des cours, ...), ce qui est normal dans une logique inter-culturelle, mais qui l'est peut-être moins à travers une institution régie par la discipline.
La sensualité en conflit avec la rigidité d'un ordre spirituelPuis vient se produire un choc culturel irréparable : un nouveau-né reçoit des soins d'un soeur et meurt. Le retournement de situation est soudain, reflétant aussi l'état spirituel de ces gens qui considèrent la médecine comme un acte magique, devenant divin ou maléfique selon qu'elle guérisse ou non. A ce premier malheur vient s'ajouter la folie de l'une des soeurs, qui dans une scène extraordinaire, apparaît habillée comme une vraie dame parée de tous les artifices de la féminité (le titre du film évoque clairement un parfum qui devient insoutenable, et rappelle l'identité sexuelle de ceux qui le sentent, ce à quoi nous pouvons goûter nous-mêmes à travers le déluge de couleurs et du comportement naturellement sensuel d'une fille hindoue). La dernière partie fait ainsi plus "fantastique", tranchant avec une première moitié plus idyllique, opposant la mère supérieure à cette brebis galeuse qui revient brutalement à elle-même (mais est-ce vraiment elle ou un fantasme d'elle-même ?) dans une vague de folie. Je pense qu'on peut facilement faire le lien entre
Le narcisse noir et
Les chaussons rouges, nous décrivant également les risques de tomber dans la folie dans un cadre strict, cette fois-ci dans le monde de la danse.
RéalisationJe trouve que la réalisation est très en avance sur son temps. Non seulement par l'usage des couleurs que j'ai déjà souligné, mais aussi par l'utilisation du travelling, des fondus enchaînés pour passer du passé au présent, et de la profondeur de champ produit grâce aux angles de vue des caméras méticuleusement choisis.
Au niveau de l'interprétation, c'est un sans faute, excepté qui interprète l'aventurier qui me semble un peu en dessous, surtout en ce qui concerne ses habits assez peu crédibles. Chaque personnage est iconique, le religieux, les hindous, ou même l'aventurier.
Même la musique, d'époque, ne m'a pas gêné pour apprécier le film. Je regrette seulement un manque d'interaction musicale entre les deux cultures.