Adaptation, Spike Jonze (2002)
Spike Jonze signe ici une comédie drôle, originale, noire, intelligente, existentielle, et touchante. Digne successeur de Dans la peau de John Malkovitch, puisque nous nous retrouvons dans la peau du scénariste lui-même, en pleine panne d'inspiration pour son nouveau scénario. Il y a même des passages sur le plateau du film précité pour forcer l'illusion.
Par contre ce n'est pas un film facile à suivre, avec une narration compliquée, folle, mais aussi géniale, à multiples entrées, et donc totalement au service de son sujet, puisque nous suivons les difficultés du scénariste à écrire son histoire. Un gros boulot de montage, impliquant un vrai puzzle à reconstruire pour le spectateur, car il y a plusieurs niveaux de mise en abîme : le "vrai" Charlie et le Charlie mis en scène, ce dernier et l'écrivain qu'il prend pour sujet, lui-même et son frère jumeau également scénariste, et enfin le travail et la vie (par rapport au scénariste et l'écrivain). On se demande vraiment comment tout ça va prendre forme, d'autant plus qu'à plusieurs reprises, on peut se demander si Charlie n'a pas tout inventé, et ne se parle pas à lui-même dans une sorte de solipsisme schizophrénique : la voix off omniprésente se faisant l'écho de ses pensées torturées, son double qui est son parfait antagoniste (il réussit ce qu'il entreprend, écrit des scénarios remplis d'action, a une vie sentimentale : est-il l'homme tel qu'il voudrait être sans se l'avouer ?). Bref, difficile parfois de faire la différence entre la réalité et l'imaginaire, ce qui représente pour moi un idéal de cinéma consistant à nous faire douter de ce qu'on voit.
Ce film n'oublie pas d'être drôle, en émiettant progressivement par la force des choses l'idéal artistique de Charlie qui trahit sa propre crainte de grandir : une histoire non sensationnelle, où il ne s'y passe rien, avec des gens banals, sans progression finale. Or ce qui est génial, c'est que l'histoire du film finit par devenir la mise en abîme de cet idéal, en mettant en scène le scénariste lui-même, qui finit par vivre des choses inattendues en totale contradiction avec son idéal de départ, et donc par évoluer et grandir (une phrase qui m'a marqué et qui fait le pont avec le film précédent : Je veux redevenir un enfant pour tout recommencer. Mais ce n'est pas possible dans ce film : on peut juste aller de l'avant, devenir adulte). Une vraie leçon de vie à partir d'une re-fabrication de la réalité qui prend pour acquis les principes d'une vie "réaliste" (n'oublions pas que Charlie parle de lui-même, bien qu'on ne sache pas exactement quelle partie de lui est dans le film). En adaptant le livre de l'écrivain, le scénariste s'adapte à la vie. Il rencontre une sorte de gourou littéraire qui lui conseille certaines choses, mais finalement la conclusion est un mixte de choses qui "marchent" (trame dramatique & l'espoir) et d'idées de son cru ou hétérodoxes (un final deus ex-machina : sa vie change par l'intermédiaire de son frère, son sujet, et l'écrivain).
La mise en abîme n'est pas le seul procédé utilisé, il y a aussi l'orchidée, allégorie de la passion vitale qui anime chaque individu, et sujet conjoint de l'écrivain et du scénariste, la clé de leur histoire. La quête de la fleur rare n'est rien d'autre que celle de ce qui nous manque pour nous accomplir. Une vaste blague à la base, parodie avant l'heure de Tree of life (le narrateur se demande d'où il vient - ce qui coïncide avec un court récit des origines de la vie jusqu'à sa naissance -, puis disserte sur les fleurs, et enfin parle de lui-même, avant de réaliser qu'il s'écarte énormément de son sujet), mais qui parvient à nous toucher de manière assez poétique, pour finalement montrer l'envers du décor. Bref, très intelligemment, l'histoire du film décrit une sorte de parcours initiatique : les troubles obsessionnels du narrateur, la sublimation de la réalité, la découverte difficile de cette dernière (avec son lot de péripéties rocambolesques, à l'image des histoires de son frère, terriblement comiques tellement elles en regorgent), et enfin la petite révélation finale qui ouvre sur des perspectives nouvelles. Parlons justement de la fin, très simple, belle et sans prétention, concluant par une métaphore filée très bien vue entre l'espoir et l'évolution temporelle de la fleur.
Bref, un film brillant, l'une des meilleurs comédies que j'ai vues depuis très longtemps, avec une histoire magnifiquement racontée à travers un monologue intérieur existentiel sur les petits tracas de la vie qui se dédouble progressivement (grâce à la mise en abîme) à travers tous les niveaux du récit. De grandes questions sont y posées, telles que l'imbrication entre inspiration et vie, de manière jamais pompeuse, avec toujours un petit regard décalé, à travers des "perdants" de la vie qui essaient de percer avec difficulté, ce qui les rend d'autant plus attachants. Les acteurs sont juste excellents, méconnaissables, avec surtout Nicolas Cage (qui montre qu'il lui arrive d'être bon) qui se démultiplie pour ses deux rôles, l'aventurier édenté interprété par Chris Cooper, puis Meryl Streep qui casse son image en sortant avec un gars tout moche. Charlie Kaufman, scénariste du film, se pose naturellement comme l'un des hommes à suivre, et forme un couple idéal avec Spike Jonze (Michel Gondry est pas mal aussi dans le genre).
Par contre ce n'est pas un film facile à suivre, avec une narration compliquée, folle, mais aussi géniale, à multiples entrées, et donc totalement au service de son sujet, puisque nous suivons les difficultés du scénariste à écrire son histoire. Un gros boulot de montage, impliquant un vrai puzzle à reconstruire pour le spectateur, car il y a plusieurs niveaux de mise en abîme : le "vrai" Charlie et le Charlie mis en scène, ce dernier et l'écrivain qu'il prend pour sujet, lui-même et son frère jumeau également scénariste, et enfin le travail et la vie (par rapport au scénariste et l'écrivain). On se demande vraiment comment tout ça va prendre forme, d'autant plus qu'à plusieurs reprises, on peut se demander si Charlie n'a pas tout inventé, et ne se parle pas à lui-même dans une sorte de solipsisme schizophrénique : la voix off omniprésente se faisant l'écho de ses pensées torturées, son double qui est son parfait antagoniste (il réussit ce qu'il entreprend, écrit des scénarios remplis d'action, a une vie sentimentale : est-il l'homme tel qu'il voudrait être sans se l'avouer ?). Bref, difficile parfois de faire la différence entre la réalité et l'imaginaire, ce qui représente pour moi un idéal de cinéma consistant à nous faire douter de ce qu'on voit.
Ce film n'oublie pas d'être drôle, en émiettant progressivement par la force des choses l'idéal artistique de Charlie qui trahit sa propre crainte de grandir : une histoire non sensationnelle, où il ne s'y passe rien, avec des gens banals, sans progression finale. Or ce qui est génial, c'est que l'histoire du film finit par devenir la mise en abîme de cet idéal, en mettant en scène le scénariste lui-même, qui finit par vivre des choses inattendues en totale contradiction avec son idéal de départ, et donc par évoluer et grandir (une phrase qui m'a marqué et qui fait le pont avec le film précédent : Je veux redevenir un enfant pour tout recommencer. Mais ce n'est pas possible dans ce film : on peut juste aller de l'avant, devenir adulte). Une vraie leçon de vie à partir d'une re-fabrication de la réalité qui prend pour acquis les principes d'une vie "réaliste" (n'oublions pas que Charlie parle de lui-même, bien qu'on ne sache pas exactement quelle partie de lui est dans le film). En adaptant le livre de l'écrivain, le scénariste s'adapte à la vie. Il rencontre une sorte de gourou littéraire qui lui conseille certaines choses, mais finalement la conclusion est un mixte de choses qui "marchent" (trame dramatique & l'espoir) et d'idées de son cru ou hétérodoxes (un final deus ex-machina : sa vie change par l'intermédiaire de son frère, son sujet, et l'écrivain).
La mise en abîme n'est pas le seul procédé utilisé, il y a aussi l'orchidée, allégorie de la passion vitale qui anime chaque individu, et sujet conjoint de l'écrivain et du scénariste, la clé de leur histoire. La quête de la fleur rare n'est rien d'autre que celle de ce qui nous manque pour nous accomplir. Une vaste blague à la base, parodie avant l'heure de Tree of life (le narrateur se demande d'où il vient - ce qui coïncide avec un court récit des origines de la vie jusqu'à sa naissance -, puis disserte sur les fleurs, et enfin parle de lui-même, avant de réaliser qu'il s'écarte énormément de son sujet), mais qui parvient à nous toucher de manière assez poétique, pour finalement montrer l'envers du décor. Bref, très intelligemment, l'histoire du film décrit une sorte de parcours initiatique : les troubles obsessionnels du narrateur, la sublimation de la réalité, la découverte difficile de cette dernière (avec son lot de péripéties rocambolesques, à l'image des histoires de son frère, terriblement comiques tellement elles en regorgent), et enfin la petite révélation finale qui ouvre sur des perspectives nouvelles. Parlons justement de la fin, très simple, belle et sans prétention, concluant par une métaphore filée très bien vue entre l'espoir et l'évolution temporelle de la fleur.
Bref, un film brillant, l'une des meilleurs comédies que j'ai vues depuis très longtemps, avec une histoire magnifiquement racontée à travers un monologue intérieur existentiel sur les petits tracas de la vie qui se dédouble progressivement (grâce à la mise en abîme) à travers tous les niveaux du récit. De grandes questions sont y posées, telles que l'imbrication entre inspiration et vie, de manière jamais pompeuse, avec toujours un petit regard décalé, à travers des "perdants" de la vie qui essaient de percer avec difficulté, ce qui les rend d'autant plus attachants. Les acteurs sont juste excellents, méconnaissables, avec surtout Nicolas Cage (qui montre qu'il lui arrive d'être bon) qui se démultiplie pour ses deux rôles, l'aventurier édenté interprété par Chris Cooper, puis Meryl Streep qui casse son image en sortant avec un gars tout moche. Charlie Kaufman, scénariste du film, se pose naturellement comme l'un des hommes à suivre, et forme un couple idéal avec Spike Jonze (Michel Gondry est pas mal aussi dans le genre).
L'une des meilleures comédies que j'ai vues depuis longtemps, dont l'intelligence du script revient à Charlie Kaufman, qui offre un scénario à puzzle et une allégorie interrogeant le rapport de l'inspiration et de la vie.