Après avoir réalisé le ténébreux et génial
Sabre du mal, Kihachi Okamoto nous concocte un autre chef d'oeuvre du genre, mais avec un traitement à l'extrême opposé, mélange de tragédie et de comédie à la manière de
Sanjuro. D'ailleurs le lien entre les deux films est tout à fait justifié, puisque leur scénario est issu du même livre,
Jours de paix de Shugoro Yamamoto. Comme la plupart des films de samouraï de cette époque,
Kill participe à la démystification du samouraï.
Le fond est classique, avec des paysans et leur révolte matée par des samouraïs, point important afin de comprendre la motivation de chacun, qui veulent garder toutes les richesses et la meilleure nourriture pour eux, ces derniers utilisant leur armée de manière machiavélique pour masquer ainsi leur activité illicite aux yeux des chefs politiques. En outre, les combats ne figurent pas parmi les meilleurs ni les plus prolifiques du genre, bien que ce ne soit pas mauvais non plus et qu'on ait droit à quelques détails gores. Pour le spectaculaire, il faudrait plutôt lui préférer les Misumi, les Gosha, ou même le
Sabre du mal. Par contre le traitement de l'histoire, les personnages qui les composent, et la manière dont les codes sont mis en jeu, sont tout à fait jouissifs, et constituent tout l'intérêt de ce film.
Malgré un traitement original, la patte du réalisateur est présente dès le début, rappelant ses films les plus connus (
Le sabre du mal,
Zatoïchi contre Yojimbo). Le vent qui souffle, un village complètement délabré, désert, constitué seulement de quelques pauvres diables qui se retrouvent au même endroit, leurs ventres couinant par manque de nourriture, et à l'affût de la moindre denrée comestible. Ainsi, une ambiance crépusculaire à la manière des western spaghetti se met en place, avec une chouette musique de Sato (encore lui : une valeur sûre dans le milieu). Les décors sont assez variés avec en plus du village, le bordel, quelques intérieurs de maisons du gouvernement, des extérieurs de montagne, et enfin un abri dans les hauteurs qui sera la plaque tournante de l'aventure.
Trois destinées, trois hommes se croisent au hasard dans le village : un yakuza (ancien samouraï), un aspirant samouraï, et un véritable samouraï. Le premier (Nakadaï) ressemble à Sanjuro, le personnage de Kurosawa. Il partage avec lui un regard désabusé et ahuri, et en même temps malin, ironique, cachant bien son jeu derrière son aspect négligé, et également le même principe de non-violence, ne l'utilisant qu'en cas d'extrême nécessité. Le second personnage de la bande est un peu idiot et naïf mais brave et fort comme un boeuf (il faut le voir soulever une poutre à lui tout seul). Il souhaite devenir samouraï pour défendre les pauvres sans connaître leur véritable nature (véritables hypocrites derrière l'image de chevaliers protégeant la veuve et l'orphelin), et se fera enseigner par l'ex-samouraï, dans un cadre tantôt dramatique, tantôt insolite. Et enfin le samouraï se retrouve dans ce sombre complot politique, moins par pure loyauté que pour des motifs égoïstes, afin de racheter une prostituée qu'il veut prendre pour femme.
Une fois le complot politique lancé, les intrigues s'enchaînent et s'entrelacent, et j'avoue que j'ai eu un peu de mal à tout retenir, mais ça devient de plus en plus limpide au fur et à mesure que l'histoire avance. Le tragique et le comique se font écho de manière efficace, sans que ça devienne lourd d'un côté comme de l'autre. Ce qui donne une mise en scène à la fois enjouée et profonde. Il y a de nombreuses situations qui font mouche du côté de l'aspirant samouraï, ex-paysan, à la fois drôle, touchant et pathétique, un peu perdu et décalé dans cet univers qui n'est pas le sien. Puis, il est jouissif de voir l'ex-samouraï passer d'un camp à l'autre, apportant une petite touche d'espionnage au récit, et produisant ainsi de nombreux retournements de situation. Enfin, il y a aussi une petite partie allouée aux histoires d'amour que je vois traiter de cette manière pour la première fois dans le genre du chambara, avec la prostituée préférée naturelle plutôt que maquillée, puis la femme qui vient aider son amoureux mais qui apporte également une tension nouvelle au sein du groupe d'hommes réfugiés dans la montagne, la moitié d'entre-eux étant des anciens prétendants. La fin est assez belle dans le genre, à la fois optimiste et délivrant un message fort : pour une fois, le "sauveur" n'est pas mis à l'écart des joies de la victoire, sans que l'ébranlement classique du mythe du samouraï soit oublié, laissant place à une oeuvre plus humaniste (ce pour quoi il était voué à la base).
Bref, le script est riche, complexe, mais jamais lourd même si on peut être parfois perdu dans les nuances de l'arrière-plan politique. Il rentre donc parmi mes préférés du genre, sa fraîcheur de ton y étant pour beaucoup.