Il faut savoir que ses deux malheureux échecs commerciaux (
Double Team et
Piège à Hong Kong) aux Etats-Unis, s'ils sont parmi les meilleurs films avec Jean-Claude Damme, ont surtout été l'occasion d'importantes expérimentations visuelles ayant contribué à la réalisation de l'un des meilleurs polars HK toutes catégories confondues, l'équivalent de
The Blade pour le WXP :
Time and Tide. Sérieusement, Il n'y a que Tsui Hark qui peut travailler sur des scripts pareils, basé sur une idée toute simple, mais compliquée à l'extrême à travers la manière dont c'est raconté et une réalisation qui n'enchaîne pas deux idées identiques à la suite.
Il s'agit en effet d'une histoire simple et apparemment classique. Un garde du corps et un mercenaire, le premier est bidon, l'autre pas. Deux femmes enceintes et deux
love story parallèles, une amitié solide (créée en quelques secondes d'une manière insolite) entre l'un des couples et le garde du corps. Un groupuscule super entraîné qui veut remettre le grappin sur le mercenaire pas bidon car il leur a volé une mallette plein d'argent. Deux amis (le bidon et le pas bidon) auront à s'affronter. Voilà à quoi pourrait se résumer le script. Sauf que Tsui Hark est aux commandes et transcende tout par sa mise en scène et un langage cinématographique incroyablement riche. Il faut d'ailleurs s'accrocher pour en comprendre le déroulement et toutes les nuances qui le parcourent, car c'est survitaminé. Dans le "pourquoi faire simple quand on pouvait faire compliqué", je pense notamment à l'introduction. Il fallait un certain culot pour introduire le récit par la
Genèse de la Bible, qui continuera à encadrer l'histoire de manière assez subtile : au début le monde était simple, mais tout s'est compliqué à cause des éléments naturels (parallèle avec les effets pyrotechniques ou visuels), la faune (les rapports de force, précisément dans les couples, puis plus tard, entre les groupes armés - pendant certaines scènes, on peut entendre des bruits d'animaux -), l'homme et la femme (l'amour, dépassement des rapports de force). Enfin le septième jour, tout recommence (espoir ?). Il ne faut surtout pas oublier que ce metteur en scène est doué pour intercaler une certaine dose de sous-texte à l'intérieur de ses films qu'il ne faudrait pas réduire uniquement à des films d'action ou fantastique, à l'image de
The Blade ou de
Green Snake.
Et puis il y a le ton employé. D'abord les
love-story ne sont jamais mièvres chez ce réalisateur, du début où l'on assiste à un concours de boisson entre deux des protagonistes principaux, qui se terminera dans les caniveaux. Puis pour entretenir son amie enceinte, le type va s'engager dans un groupe de gardes du corps bidon (on aura affaire à une magnifique scène de mythomanie de la part du responsable du groupe), et devra porter une arme elle aussi bidon, car on lui refuse d'en porter une vraie. Ce décalage humoristique est propre à Tsui Hark et ne vient jamais perturber l'histoire, mais au contraire lui permet d'alterner burlesque (léger) et sérieux. Ensuite, il y a la manière dont cette amitié se crée. On ne peut pas dire qu'il y a une recherche psychologique "intérieure" des personnages chez le metteur en scène : elle est toujours "extérieure", mise en oeuvre. Ainsi, la petite scène où les deux hommes se retrouvent pour la première fois dans une boutique de souvenirs et de fausses armes (avec la fameuse boite à musique), si elle n'avait pas fonctionné, aurait pu donner un tout autre visage au film. Selon moi, ce n'est pas d'abord la virtuosité de la caméra qui rend ce film si fascinant et attachant, mais le passage de scènes toutes bêtes et remplies d'émotion (par exemple, la séquence où cette amitié forte se crée), à d'autres d'une toute autre ampleur visuelle.
Très difficile de résumer la mise en scène du film. Une expression me vient à l'esprit,
énergie cinétique, car c'est toujours en mouvement, si bien que le pic émotionnel des personnages se traduit par un regard, un sourire, une action, remplaçant de longues lignes de dialogues, loin d'être absents mais font partie intégrante de l'action. L'intensité de ces moments-là est parfaitement soutenue par la BO, originale et très bien placée dans le récit. Puis enfin, Tsui Hark a une grande maîtrise de l'espace. Je pense notamment à l'assaut du groupe mercenaire brésilien dans la banque et le déplacement du mercenaire renégat dans l'immeuble. Que ce soit au niveau du montage ou des angles de vue utilisés c'est extrêmement réussis et inventifs : on a l'impression qu'entre l'oeil et l'action, aucun obstacle ne vient se placer entre les deux. Pour un budget assez modeste, surtout en comparaison avec les superproductions américaines (le seul bémol pour moi est peut-être le feu dans l'immeuble : ça se voit que c'est un plan truqué), c'est vraiment impressionnant. Puis il y a des clins d'oeil au cinéma de Johnnie To (le script de base et la musique décalée) et à celui de John Woo comme les colombes, le pointage simultané des pistolets sur le front, ou encore le coup du bébé en pleine action, mais revus à travers le style du réalisateur (par exemple : "mon arme ne parle pas, elle tue"). Au niveau du casting, on a du beau monde. Je retiens particulièrement les deux couples (j'en suis tombé totalement sous le charme), le responsable des mercenaires bidons (Anthony Wong), et l'acteur qui joue le brésilien.