Si le montage présenté au cinéma s'avérait décevant, cette version longue proposant 40 min de plus qui efface de nombreux défauts de cette première version. D'abord l'histoire s'avère bien plus fouillée et moins
cut, rendant par exemple plus acceptable l'évolution fulgurante du chevalier-forgeron (je pense notamment au maniement des armes). D'autre part, l'expérience sensorielle est sublimée avec des enchaînements plus fluides et de magnifiques nouveaux morceaux. Cette nouvelle monture permet donc de composer les défauts de cette fresque épique propres aux gros
blockbusters : dialogues sur-lignés un peu lourds et un Orlando Bloom transparent.
Kingdom of Heaven, comme ce fut le cas dans
Gladiator (du même réalisateur), nous propose un cadre historique posé d'emblée, simple mais efficace. Tout de suite, on comprend le contexte général, le fil directeur du film, sans même avoir étudier l'histoire. Il s'agit à la fois d'une force et d'une faiblesse : sans rentrer dans les détails, on peut se rendre compte que l'Histoire a été simplifiée, avec des traits grossis, des stéréotypes. Mais ça fonctionne, car malgré les raccourcis et les anachronismes de toutes sortes, le réalisateur ne prend jamais le spectateur pour un con. Il fait le parfait mixte entre divertissement général et message à passer.
Ainsi, nous retrouvons un visage de la chrétienté à l'ère des croisades assez haut en couleurs, contrasté mais avec seulement trois variantes principales. D'abord les mauvais, avec un prêtre voleur et menteur, un autre homme d'Eglise opportuniste et cherchant à éviter le martyr quitte à sacrifier des innocents, et enfin des chevaliers-templiers tuant au nom de Dieu, se cachant derrière pour satisfaire une joie primaire et barbare. Du côté des bons, nous découvrons un fossoyeur qui agira contre sa propre réputation, le Roi de Jérusalem prônant comme son adversaire un message de paix et de tolérance, le chevalier-forgeron qui semble absorber les bonnes "expériences des autres" à partir du dicton selon lequel il doit s'améliorer pour améliorer le sort du monde (Par exemple : Jérusalem = Royaume de la conscience, idée venant de son père ; nous sommes ce que nous faisons, ...), bref il est le chevalier blanc, parfait contre-point du chef des Templiers. La princesse, personnage semblant sortie tout droit des contes des
Mille et une nuits au charisme extraordinaire, se situe selon moi un peu à mi-chemin : étant une femme, elle doit agir en fonction des circonstances pour le bien de son peuple et de son fils, exactement comme la fille de l'Empereur dans
Gladiator. Il ne faut pas oublier les autres chevaliers accompagnant le chevalier-forgeron jusqu'à Jérusalem, qui ont tous une raison d'y aller, mais jamais pour la gloire de Dieu : de bons gars simples, solides, authentiques, qui agissent par delà le bien et le mal conventionnels. De l'autre, l'Islam a un portrait moins contrasté que celui de la chrétienté, modèle de tolérance et de paix, tuant s'il le faut mais jamais par joie. Il y a quelques exceptions, mais rapidement encadrées par leur chef Saladin.
Il y a une belle réflexion autour de l'idée de noblesse. Il est vrai que le chevalier-forgeron monte un peu trop vite les échelons : d'abord simple chevalier, puis baron, et plus tard protecteur de Jérusalem. Mais ce type d'évolution reflète bien l'état d'esprit de la chevalerie où les actes l'emportent sur le sang. Puis j'ai beaucoup apprécié le moment où le chevalier-forgeron n'hésite pas à travailler avec ses serviteurs dans ses terres pour rendre cette dernière cultivable, apportant ainsi beaucoup d'humanité à son personnage. Bon par contre l'idée physique de la noblesse (coeur & tête), c'est du papier-coller de
Braveheart. Par contre, l'acteur Orlando Bloom est selon moi toujours une belle endive avec une barbe et des pectoraux nouvellement acquis pour les besoins du film, mais heureusement il y a tant de personnages secondaires intéressants - servis par un excellent casting - qui lui rendent la réplique que finalement il se noie bien dans la masse. D'autre part, malgré une grande simplicité du récit, ce dernier est incroyablement fouillé, nuancé, que ce soit par les images ou par les dialogues, qui donne envie de se plonger dans chacune de ses nombreuses sous-intrigues. Par exemple, le discours du chevalier-forgeron réduisant Jérusalem au peuple, puisque ces terres n'appartiennent finalement à personne de droit (un message d'une actualité incroyable), ou encore l'alternative existentielle laissée aux "chefs" résumée par le jeu d'échecs ("pousser" des hommes sur le plateau pour vaincre au final malgré les pertes, ou faire des choix parfois difficiles à faire et qui sortent de l'opportunisme présenté par ce modèle de stratégie ?).
Sur le plan formel, un véritable choeur d'images et de musiques différentes s'anime devant nos sens, nous livrant une vision du Moyen Age pittoresque avec ces chants religieux ou médiévaux de toutes sortes, ces plans magnifiquement composés, ces décors et costumes d'une très grande richesse. Des éléments qui débordent du fil narratif directeur pour faire vivre le background au-delà de notre raison (je pense à toute la première partie - et particulièrement le passage de l'aménagement des terres du chevalier-forgeron - qui ne propose que 2-3 combats relativement courts, offrant tout l'espace à la mise en place de l'univers du film). En termes de film épico-historique, il n'a pas d'égal. Et j'aime la manière dont Ridley Scott traite l'Histoire, en se servant beaucoup du genre de la tragédie pour donner de la chair aux personnages : les stéréotypes, appuyés par la beauté des images et de la musique, deviennent finalement des vecteurs d'émotion. De toutes manières, dans toute histoire de ce genre au cinéma, il y a toujours des bons et des méchants, même si ce n'est pas conforme à la réalité la plus exacte.
Enfin, les combats. Heureusement que dans la version longue, on nous indique que le forgeron a levé les armes au moins une fois, sinon ça aurait été vraiment trop facile de l'entraîner avec seulement quelques passes. Il a donc une base solide, et il faut juste qu'il se perfectionne pour se mettre au niveau. Le premier combat est une belle petite claque, montrant des guerriers qui se battent jusqu'au dernier souffle, avec une violence rarement atteinte dans le genre. Les batailles de fin sont aussi très bien, bien qu'on montre un chevalier-forgeron un peu trop à l'aise dans son rôle de stratège, car ses références demeurent quand même assez faibles. Dans l'ensemble, ça demeure très réaliste dans l'exécution, sauf pour la scène où il parvient à faire tomber toutes les machines de siège en quelques minutes.