Lorsqu'on regarde un Melville, il ne faut pas être en manque de sucre ou de café. Comme d'habitude, ce n'est pas très bavard, la mise en scène, les faits et les gestes remplaçant presque complètement les dialogues. Par de sur-explication : tout se trouve devant nos yeux, il faut juste rester concentré et parfois être un poil observateur sur l'action se déroulant à l'écran tout comme sur la psychologie des personnages. C'est le genre de film qui est toujours menacé par le sentiment de vide, si nous ne faisons pas l'effort de se mettre à son niveau. J'ai beaucoup aimé, comme d'habitude avec le maître, mais je suis quand même un peu frustré car je n'ai pas eu toutes les cartes en main arrivé à la fin du film : manque de maîtrise du réalisateur ou baisse d'attention de ma part ... ?
Le film commence très bien avec l'évasion d'un malfaiteur, lente mais méticuleuse, bien que ça semble un peu facile pour ce dernier, vu la proximité de son gardien. Bon en même temps, il a face à lui un flic bien fatigué, qui ressemble tout à fait aux personnages de Melville en fin de parcours, qui a encore tout à prouver malgré la réputation qui le précède. Au même moment se déroule la libération d'un autre malfaiteur de prison, qui se fait indiquer un "gros coup" par son propre gardien. Or, ces deux malfaiteurs se rencontrent tout à fait par hasard, et semblent faire écho à la phrase du début :
Quand des hommes même s'ils s'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents. Au jour dit inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge. Bref, malgré certaines rencontres circonstancielles, le destin semble se mettre en marche vers une fin inéluctable. Ce fatalisme est encore accentué par une affirmation ontologique du chef de la police :
tous les hommes sont nés coupables, flics comme malfaiteurs. Cette idée-là était déjà annoncée dans son générique où l'on apercevait la voiture de police transportant le prisonnier griller un feu rouge, et par la proposition d'un "casse" par le gardien de prison : le mal est farouchement enraciné dans l'âme humaine. Davantage que l'idée de justice séparant le mal du bien selon des normes bien précises, le film prêtera donc plus attention à la chute programmée des hommes, qui n'épargnera personne d'un côté comme de l'autre, à différents niveaux.
Il semble que c'est une habitude pour Melville de laisser parler les flics tandis qu'il cède avec parcimonie quelques mots aux malfaiteurs, qui préfèrent les gestes et l'action, parfaitement mis en valeur par une mise en scène toujours aussi épurée, mais ramenée à l'essentiel, "bavarde" juste comme il faut. Aucune voix off ne soutient l'état d'âme des personnages, ce qui est le propre de tous les polars de Melville, et il faudra se contenter des deux affirmations pré-citées, de la photographie froide, grisâtre ou nocturne, qui pourrait être prise comme un reflet de leur psychologie comme ce fût déjà le cas dans
L'armée des ombres, et surtout, de l'attitude des protagonistes - qui pourrait à elle seule être étudiée dans le détail tant elle nous livre des informations importantes -, incarnés par un casting de fou : Bourvil nous livrant son meilleur rôle, puis Alain Delon, Gian Maria Volonté, et Yves Montand qui ne sont pas en reste, parvenant tous à faire exister leur personnage.
L'ambiance, presque sans paroles et sans voix off, réaliste voire terre à terre, est donc très oppressante, pesante. Il y a quand même quelques interludes "musicaux", du jazz en arrière-plan ou dans un bar quelconque vers lequel reviennent certains personnages, mais même là ça reste très froid, désincarné (les danseuses bougent, mais le public reste parfaitement immobile), et d'une profonde mélancolie. La solitude des personnages est paradoxalement du côté des policiers (le policier vit seul avec ses chats, et l'ancien policier est hanté par ses démons) tandis que les bandits s'unissent dans une fraternité fondée sur l'honneur, alternative à une justice punissant impartialement, sans humanité, la chute qui est en chacun en puissance.
Puis vient le "casse". La construction de l'action est parfaite : découverte du bon partenaire, repérages, fabrication d'une "astuce" pour passer le dispositif de sécurité, et lente progression intelligemment menée par les participants. De toute la carrière de Melville, c'est sa plus belle mise en scène, prouvant qu'il est tout à fait possible de mettre en oeuvre un "casse" avec calme et silence complet, et cependant parcouru d'une tension énorme.
Le dénouement final, j'avoue que j'ai moins accroché qu'au reste. On dirait que les choses s'accélèrent, changent de rythme, pour "coller" à l'idée de départ : tout le monde doit se retrouver dans le "cercle rouge", quoi qu'il arrive. Certains points me semblent encore énigmatiques, essentiellement certaines dénonciations incomprises et rencontres impromptues. A revoir donc pour me faire une idée plus définitive du film.