Après
L'ange ivre et
Chien enragé, Akira Kurosawa continue avec
Scandale son portrait japonais de l'après-guerre. Le produit est hybride (comme la plupart des films du metteur en scène), mélange de drame social à la Capra et de film de prétoire (dans sa dernière partie). La base du récit reflète une inquiétude personnelle du metteur en scène qui a encore toute son actualité. L'émergence de la presse à scandales, en quête du public plutôt que de la vérité, qui porte préjudice à deux figures célèbres, photographiées ensemble par un jeu de circonstances. Ce qui fait la dynamique du film, c'est la relation triangulaire entre ce faux couple et leur avocat, qui divergent dans leur rapport à la vérité, par rapport au bien et au mal, dans le contexte de l'émergence de la libre expression à l'américaine.
La première partie du film montre le processus de fabrication du mensonge journalistique, plaçant le peintre (Toshiro Mifune, plus sobre que d'habitude et encore impeccable) au centre de l'attention (ce thème du témoin de la vérité sera repris dans
Rashomon). Anticonformiste, sa personnalité est intéressante, doté à la fois d'une droiture morale héritière des temps anciens (géniale la scène où il lit le journal en question et réagit de manière irréfléchie, reflet d'un refus instinctif de la malhonnêteté), et d'une modernité déconcertante (exemple : il possède une moto). Le parfait exemple de la mutation équilibrée, sorte de prolongement idéal de Kurosawa, qui voulait devenir lui-même peintre. Le personnage féminin est lui aussi intéressant, au rôle ambivalent (pourquoi ne témoigne t-elle pas tout de suite, comme le peintre, en faveur de la calomnie ? Plus-value pour sa carrière ? Souvenir agréable qu'elle veut préserver au mépris de la vérité ?).
Dans la deuxième partie du film, l'histoire est perturbée par l'arrivée d'un nouveau protagoniste, un avocat (Takashi Shimura, qui préfigure déjà
Vivre par son interprétation), engagé par la partie adverse pour faire perdre le procès aux victimes. Il semble débarquer tout droit de
L'Ange ivre. Un pauvre diable qui doit supporter à la fois sa situation économique et la maladie de sa fille. Personnage ambivalent, hanté par la honte de soi (signifiante la scène où il retourne la photo de sa fille pour ne pas se confronter à elle), et en même temps tenté par la facilité et la corruption. Il est ainsi tiraillé entre deux directions, deux types de personnages (comme si Kurosawa lui-même transmettait ses propres obsessions) : le cynisme éhonté du journaliste, et l'honnêteté inébranlable du peintre, et surtout celle de sa fille, véritable ange de bonté malgré la maladie qui la ronge (alter-ego positif du yakuza de
L'ange ivre). Le récit est totalement contaminé par sa présence et devient le véritable héros, comme en témoigne la conclusion, qui voit
naître une nouvelle étoile au sein de la rédemption morale. La nature de ce récit est également modifiée, passant du réquisitoire contre l'abus de la liberté de presse, au drame social et moral, traversé de temps en temps par une petite touche d'humour et d'ironie, comme par exemple ces paysans, témoins clés de la défense, qui seront les seuls à pouvoir à rétablir la vérité malgré leur naïveté et leur ignorance (personnages qui seront par la suite très utilisés dans ses films de samouraïs).
Malgré une histoire pétrie de bonnes intentions, il faut reconnaître qu'il se retrouve un ou deux crans au-dessous de ses deux aînés. D'abord, les personnages sont trop beaux pour être vrais : le peintre n'hésite pas à mettre en péril sa fortune et sa réputation pour tester la solidité morale de son avocat, et la fille de l'avocat est totalement immaculée de toute faute morale. Le passage sur le doute de l'avocat, bien qu'accédant à de belles scènes (les misérables se retrouvant tous au bar pour Noël), est parfois assez poussif et larmoyant, et manque ainsi de subtilité. Ensuite, on peut avoir la désagréable impression d'entendre le metteur en scène penser, alors que d'habitude c'est mieux intégré à l'histoire. Puis, le film apparaît pas toujours bien équilibré entre ses parties (à la limite, ça peut faire partie du charme : malgré un fil directeur simple, il y a de nombreuses sous-intrigues qui complexifie l'histoire, la remplit d'aspérités). Enfin, malgré un sens du cadrage maîtrisé (une qualité constante du metteur en scène), la réalisation est un peu en dessous des autres oeuvres du cinéaste.