A l'instar de Jacques Audiard, Steve Mc Queen filme ses sujets dans un style quasi documentaire, abrupt, avec une mise en scène discrète et peu explicative, principalement axée sur l'image (par contre quelques scènes sont un peu trop longues, comme celle du nettoyage de pipi qui dure 2 minutes), avec pour thème directeur : le pouvoir des corps (ou plutôt de leur délabrement) sur la réalité. Hormis un dialogue entre un prisonnier et un prêtre (qui nous expliquent les enjeux) et quelques passages radiophoniques faisant intervenir la Première ministre de l'époque, nous sommes laissés seuls à seuls avec les personnages, dans leur solitude respective. Le sujet est sensible et le scénario est réduit à peu de choses : les conditions de vie des prisonniers de l'IRA, qui réclament le statut de prisonniers politiques. Le contexte est peu évoqué pour une raison majeure : le metteur en scène s'intéresse avant tout à ce que traversent les personnages au sein de cet évènement. Il ne nous impose pas de morale ou de leçon d'histoire. Ce que reproduit très bien la mise en scène : bien que discrète, elle est très présente, notamment à travers un soin appliqué au cadre qui fait penser parfois à un tableau sur la misère humaine, bien souvent programmée, au nom d'un principe de l'ordre (du côté des matons) ou de liberté (du côté de l'IRA), et touche parfois au sublime, y compris durant des séquences très dures. Puis il y a surtout l'interprétation, très incarnée malgré (et peut-être grâce) au peu de mots prononcés.
En termes esthétique, ce film est une réussite, car je n'ai pas vu souvent un film de prison aussi détaillé et crédible. Rien ne nous est épargné visuellement, comme la pression des gardiens sur les prisonniers, la saleté de l'endroit, ou l'astuce des prisonniers pour cacher des choses ou réussir à survivre. Et malgré tout, cela reste juste sans tomber dans le pathos. Ce n'est pas manichéen non plus puisque des deux côtés, prisonniers et gardiens, de petites scènes tendres ou touchantes viennent agrémenter le tableau. En voyant Fassbender à l'affiche, seul acteur connu de la distribution, j'avais craint qu'il bouffe l'écran retardant ainsi l'identification, mais l'attention est détournée en nous montrant successivement un gardien de prison (censé être l'ennemi, mais rapidement montré dans son ambivalence), puis deux autres prisonniers. Ainsi, il rentre dans le moule du film, ce qui n'enlève rien à la qualité de son jeu, et on sent qu'il a donné de sa personne pour interpréter son personnage.
La grève de la faim proprement dite ne dure que quinze minutes mais c'est largement largement suffisant pour nous en faire éprouver le processus. Ce qui précède est la maturation du projet à travers la souffrance des prisonniers, causée par leur refus de se conformer au statut lambda de prisonnier, et le long dialogue dont j'ai parlé plus haut offrant une belle confrontation entre deux hommes appartenant au même camp mais profondément différents dans leur manière de résoudre leurs idéaux, avec le dilemme traditionnel entre théorie et pratique. Cette dernière action représente ainsi un pic dans leur combat pour une reconnaissance politique, avec la destruction de leur corps comme arme ultime contre l'indifférence publique. Je suis donc curieux de découvrir les futurs films de ce réalisateur très prometteur, tandis que ces sujets à portée sociale peuvent me saouler assez rapidement lorsqu'ils escaladent vers le mélodrame, ce qui n'est pas le cas ici.