Amour
Un film de Michael Haneke
8/10
C'est avec un certain sadisme qu'Haneke filme les derniers moments d'amour d'un couple octogénaire confronté à la mort. Cruel et très marquant. N’y allons pas par quatre chemins : Amour est une épreuve. C’est une violence, une douleur morale qui vous attrape et ne vous lâche plus, jusqu’au vomissement ; une œuvre qui transporte en elle une force, celle des sentiments, et qui dépasse littéralement le cadre cinématographique. La faute à qui, à quoi ? Comme toujours chez Haneke, c’est avant tout le sujet de son film qui le rend si cruel. Amour, c’est l’histoire de la mort qui s’immisce de manière imprévue et soudaine dans la vie d’un couple d’octogénaires, liés depuis toujours, racine d’une petite famille bourgeoise. Un matin ordinaire, Jeanne est victime d’une attaque cérébrale qui rendra nécessaire un séjour à l’hôpital. Mais l’opération tourne mal, et la voici désormais dans un fauteuil roulant, à l’article de la mort qui se plait à prendre tout son temps.
La mort prévient, et là est peut-être le pire. Dans ses premiers moments, le film dévoile avec délicatesse le quotidien des personnages heureux que sont Jeanne et Georges. On y découvre leurs activités, leurs habitudes et leurs querelles quotidiennes, au travers des séquences savamment orchestrées qui ne laissent que peu de place à la possibilité d’un drame. Haneke profite de ces instants de calme pour poser les bases de son récit : un lieu unique, à savoir un appartement figé dans l’éternité – bibliothèque, tableaux –, des personnages amoureux et, soudain, l’événement : la maladie, mort avant la mort, fatale, cruelle, impitoyable.
Le film ne s’appelle pas Amour pour rien, puisque de l’amour, il en est question dans chaque scène, chaque geste, chaque regard. « Tu es un montre, mais un monstre gentil » déclare Jeanne à Georges qui n’aura cesse de s’excuser pour tout et pour rien, comme si la dureté de la maladie de sa femme n’était pas suffisante à son malheur et qu’il en était aussi relativement responsable. C’est aussi une marque du cinéma d’Haneke : rendre responsable les témoins tragiques que nous sommes, nous, spectateurs malicieux, heureux de payer pour assister à l’horreur, spectacle sans fin, ancré dans l’existence comme si marqué au fer rouge. Amour est atroce, douloureux. Pire que tout, il est culpabilisant car il nous rend égoïste et pervers – quel spectateur n’a pas projeté sa propre condition en celle de Jeanne ? Ses cris de douleur sont si sourds qu’ils en deviennent fatigants et lassants. Amour est insoutenable.
Haneke, passé maitre dans l’art de faire du réel avec de la fiction, donne à ses acteurs les moyens de se détacher de l’emprise du film et de son déroulement : un cadre et, surtout, une raison d’exister. La capacité de Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva à transformer leurs regards en paroles font alors de leur couple l’un des plus beaux vus au cinéma depuis longtemps. L’amour ne se dit pas, l’amour se ressent. Il est pourtant difficile pourtant de le ressentir dans cet appartement cloisonné que seules quelques personnes extérieures pénètreront – la fille du couple, deux infirmières, un ancien élève – comme si la mort était honteuse et contagieuse. Le huit clos étant total, la mort peut agir en douceur, personne ne viendra l’empêcher, si ce n’est la mort elle-même. Vient alors la question de l’euthanasie qu’Haneke caresse sans jamais vraiment embrasser, juste de quoi nous faire réfléchir et douter. Ultime moment de désespoir, l’arrivée d’un pigeon – animal qui fait office de métaphore de la vie et des libertés qu’elle peut offrir – dans cette prison aura de quoi marquer les esprits. Amour un film qui porte en lui les gènes de notre destruction.