La vision de ce type de film outrancier et borderline dans une salle de multiplexe réserve son lot de plaisirs délicieusement malsains. Outre la joie légitime de retrouver ce grand Monsieur qu'est William Friedkin ailleurs que dans des petites salles de quartiers (l'exposition de ce film est assez étonnante vu son contenu), le spectateur aguerri et averti écoutera sûrement avec sournoiserie et délectation les réactions effarées synonymes d'écoeurement des possesseurs de pass illimités qui n'ont pas pris la peine de se renseigner davantage sur ce qui les attendait ("Matthew, pourquoi tu fais ça?" ). Sous couvert d'une bande annonce qui masque habilement la perversité dont regorge ce Killer Joe, nombreux seront ceux à quitter la salle de manière prématurée.
Du haut de ses 77 printemps, Billy continue de regarder l'Amérique droit dans les yeux avec le majeur tendu vers le ciel. Loin des succès de ses jeunes années, il continue de creuser son sillon de manière indépendante 6 ans après son précédent opus, le déjà bien secoué Bug. Adaptés du même auteur, Tracy Letts, les deux scripts/films partagent le même goût pour la provocation et les sujets tendancieux. Dans Killer Joe, Friedkin desserre légèrement l'étreinte géométrique de sa caméra en octroyant quelques lieux de respiration à ses personnages asphyxiés par la puanteur de leur miteuse caravane.
On suit donc une famille recomposée complètement barge, débile et inconsciente qui fomente un plan d'assassinat de l'ex-femme du patriarche (mais aussi mère des deux gamins paumés) afin de toucher l'assurance vie qu'elle a contracté. Pour se faire, ils font appel au charismatique Joe Cooper, détective le jour et tueur à gages la nuit. Mais Joe se fait payer d'avance. Sans exception. A moins que la jeune Dottie ne fasse office de caution...
Sous ses airs de polar, nous sommes bien loin du compte, Friedkin cultive sa farce macabre en évitant presque tous les écueils de la conformité. Malgré une quasi unité de lieu et un parti-pris anti-spectaculaire (aucun coup de feu ne sera tiré avant la dernière minute de métrage), le rythme est parfaitement géré et l'interprétation au diapason. Matthew McConaughey en profite pour broyer son image d'éternel playboy en incarnant le fameux Joe, charismatique et sûr de lui, qui se vautre avec joie dans le quotidien nauséabond de cette famille de Rednecks.
Thomas Haden Church (en patriarche bouseux et écervelé), Gina Gershon (en salope de service qui sous-estime l'adversité) ainsi que les jeunes Emile Hirsh (l'aîné con et inconscient) et Juno Temple (la cadette naïve) profitent tous de l'excellente direction d'acteurs du doyen des réalisateurs poil à gratter pour fournir des prestations enjouées, un peu comme dans un cirque graveleux.
Certaines images de violence sans équivoque (du tabassage en règle) et de sexe déviant (pédophilie) auront raison des âmes sensibles sans oublier quelques séquences qui flirtent dangereusement avec le grand guignol (c'était déjà le cas dans Bug). L'épilogue vite expédié pourra décevoir les survivants de ce film malsain qui, d'un point de vue personnel, n'atteint pas la folie du déjanté et méconnu White Lightnin', mais il est difficile de faire la fine bouche devant ce trip qui ne se refuse aucun excès.