Dark City - Alex Proyas - 1998
Quinze ans après sa sortie dans l’anonymat le plus complet (en pleine déferlante Titanic), Dark City continue de résister à l’épreuve du temps et apparaît orné de ses plus beaux atours dans l’impeccable Blu-ray édité par Metropolitan. C’est bien simple, le film d’Alex Proyas est un ravissement visuel de tous les instants. Le redécouvrir dans ce somptueux apparat permet de prendre conscience de son caractère bipolaire. Au-delà du postulat SF, l’hommage au film noir est encore plus prégnant avec le recul. L’ensemble de la production est chiadée jusque dans les moindres détails, fruit de l’osmose entre le production designer Patrick Tatopoulos (le boulot abattu laisse pantois), le directeur de la photo Darius Wolski et bien sûr le réalisateur-scénariste.
Pour ceux qui découvriraient le film aujourd’hui, la director’s cut est à privilégier car elle supprime la voix off de l’introduction qui avait tendance à désépaissir le mystère entourant le récit. Grâce à cette version allongée de 10 minutes, le spectateur n’a plus aucune longueur d’avance sur le personnage interprété par Rufus Sewell. Tous les ingrédients du film noir sont présents : un homme amnésique accusé de meurtres, une femme fatale (Jennifer Connelly) et un flic obstiné dans sa quête de vérité (William Hurt). En parallèle, de sombres individus, les étrangers, contrôlent la ville de manière totalitaire et pratiquent d’incessantes expérimentations sur les humains avec l’aide du Dr Schreiber (Kiefer Sutherland).
Leurs pratiques, qui consistent à implanter de nouveaux souvenirs à leurs cobayes afin d’observer le comportement de l’âme (dont ils sont dépourvus), s’opèrent au cours d’un rituel fascinant, la synthonisation. Non contents de redéfinir la mémoire de leurs sujets, ils en profitent également pour remodeler l’architecture de la ville, au cours de scènes qui font penser à un gigantesque jeu de construction. Ces séquences sont toujours aussi jouissives et restent les plus marquantes du film (cf la transformation d'un appartement miteux occupé par un couple de prolos qui devient une luxueuse demeure pour classes aisées). On pouvait craindre que les effets visuels prennent un coup de vieux, il n’en est rien (à part le combat psychique final, un peu plus ancré dans son temps). Evidemment, Dark City puise principalement son inspiration du côté du Metropolis de Fritz Lang, Proyas ne s’en est jamais caché, mais il y a aussi des petites touches de Blade Runner ou de Brazil disséminées ici et là.
Au menu des réjouissances formelles, c'est un vrai festin pour les yeux. La moindre petite scène, même anodine, jouit généralement d'une science du cadre et d'une profondeur de champ à tomber à la renverse (les longs couloirs d'hôtels, le commissariat
). Par contre, il faut remettre les choses au clair, on voit beaucoup de critiques parler de style gothique pour définir la ville. C'est pas parce qu'il fait tout le temps nuit et qu'on a des clones de Nosferatu (les étrangers et leur teint blafard) qu'on peut parler de gothique. Les décors du film, c'est surtout du style art deco à 100% de part l'omniprésence de formes géométriques que soit en intérieur comme en extérieur. La photo de Darius Wolski est au diapason de l'ambiance torturée du film et propose des noirs d'une profondeur abyssale, décollement de rétine assurée. Pour soutenir l'action, Trevor Jones propose un score de qualité, quasi ininterrompu, qui sait se faire discret sans jamais réellement disparaître dans les scènes intimistes et qui monte en puissance (haut les coeurs!) dès que la situation se tend à l'écran.
Le film est bourré d'idées et de trouvailles visuelles intéressantes, achevant de rendre le trip un peu plus marquant que la linéarité du script n'aurait pu le laisser penser. Car, c'est bien là le seul vrai défaut de Dark City, malgré des bases solides, le déroulement des évènements ne laisse que peu de place au doute et à l'interprétation. La fin est sans équivoque même si on peut fantasmer sur le caractère à la fois messianique et individualiste de John Murdoch, de part l'utilisation qu'il fait de ses pouvoirs. En dépit d'un univers SF d'une grande richesse, pas un seul doute n'habite l'esprit du spectateur à l'issue de la dernière bobine. On ressent donc une pointe de frustration de ne pas pouvoir se lancer dans des débats enflammés au sujet du film. Une limpidité qui donne encore plus envie de le cataloguer dans la case du film noir (certes fortement teintée de SF) et qui en l'état, propose tout de même un voyage hypnotisant dans un autre univers. Au final, Dark City est incontestablement le meilleur film de Proyas et résiste incroyablement bien au temps et aux visions, la marque des grands films tout simplement.
8.5/10