Comment j'ai appris à surmonter ma peur et à aimer Ariel Sharon de Avi Mograbi
(1996)
Dans la majorité des cas, les meilleurs documentaires sont souvent ceux dont le sujet principal se révèle être un simple tremplin pour aborder des thématiques plus profondes et généralement plus difficiles à exploiter. Encore une fois, avec ce second documentaire d'Avi Mograbi, cette tendance se révèle juste puisque l'on se retrouve devant ce qui semblerait être un moyen-métrage censé discréditer la campagne de Benjamin Netanyahou au poste de Premier Ministre d’Israël, candidat de droite soutenu directement par Ariel Sharon (le titre de film se veut d'ailleurs dans cette idée de moquerie puisqu'il fait directement allusion au sous-titre du Docteur Folamour de Stanley Kubrick). Pourtant, dès le début du film, Avi Mograbi, dans un sincérité surprenante, se livre face à sa caméra pour expliquer sa relation entre fascination et haine avec Ariel Sharon. Il explique donc être résolument de gauche, antimilitariste (il a écopé d'une peine de prison pour avoir refusé de participer à la guerre de Liban) et qu'il a toujours détesté ce que représentait Ariel Sharon, que ce soit pour ses idées politiques que pour certains de ses actes, notamment son inactivité lors du massacre de Sabra et Chatila.
Malgré cela, Mograbi a la conviction qu'il doit filmer cet homme, pour découvrir une vérité que seule l'image animée serait capable de percevoir, et c'est donc avec l'intention de rester au plus près du personnage politique que le réalisateur commence à sillonner la totalité du territoire israélien pendant plusieurs mois. Le film commence donc de façon assez convenue, on pense souvent au cinéma de Michael Moore où l'on y retrouve la même volonté de faire éclabousser la vérité pour tâcher des cibles politiques prédéfinies, et pourtant le film de Mograbi se révèle être peu à peu une œuvre atypique dans son évolution qui correspond à celle de Mograbi lui-même, car plus il passe de temps sur les nombreux meetings de Sharon, plus celui-ci le remarque et entretient un lien professionnel puis amical avec le réalisateur. C'est donc un Mograbi troublé que l'on découvre peu à peu, troublé de se rendre compte à quel point l'icône politique qu'il détestait se révèle être un homme avec qui il pourrait être facilement bon ami, un homme soucieux de son peuple, aux paroles en accord avec sa pensée et qui n'hésite pas à annuler des conventions pour s'occuper de son ranch personnel. Ainsi, l’œuvre critique se transforme en journal intime d'un réalisateur qui doute de ses convictions passés (notamment via ses rêves qu'il décrit face à sa caméra), le plaidoyer politique se métamorphose en étude des relations humaines au delà des idées politiques de chacun. Le film se révèle même parfois à la limite entre le comique assumé et l'émotion contenue, notamment dans la séquence finale où Mograbi, la veille des élections, se moque directement des pensées qui ont conduits à ce film. Documentaire atypique, direct sur sa forme et totalement sincère dans ce qu'il tente de montrer et non de démontrer, Avi Mograbi signe là une œuvre personnelle, humaniste et touchante malgré lui qui se révèle être très démonstrative de la tendance actuelle où l'on juge facilement un individu par ses opinions politiques.
NOTE : 7/10