Heat de Michael Mann
(1995)
LE chef d’œuvre ultime de Michael Mann, sans aucun doute possible. On aura absolument tout dit et tout écrit sur cette œuvre phare des années 90 et il est étonnant de voir à quel point elle reste intéressante néanmoins, plus de quinze ans après sa sortie. Heat, c'est avant tout un projet ultra personnel pour Michael Mann, tout ce qu'il a pu faire auparavant dans sa carrière le prédestinait à réaliser ce film, et ce n'est pas L.A. Takedown, téléfilm qui possédait déjà la totalité de la structure de Heat, ni les brouillons partiels déjà présents dans Thief qui vont faire mentir cette évidence. Pourtant, il aura fallu du temps à Mann pour réaliser ce film qu'il voulait de toute évidence le plus proche de la perfection possible, attendant non seulement la possibilité d'avoir le budget lui permettant toutes les folies mais aussi et surtout de posséder l'ultime version du script qui allait faire du film bien plus qu'un simple récit de braquage. Car Heat, c'est aussi l’œuvre qui réussit à synthétiser la totalité des thèmes de Mann, ses doutes, ses convictions, la relation de ses personnages envers la solitude, envers le monde qui les entoure, envers la vie qu'ils auraient souhaités avoir et qu'ils tentent une dernière fois de conquérir, en cela Heat est davantage une œuvre sur la constance de l'échec chez l'être humain plutôt qu'une simple chasse à l'homme comme on peut trop souvent le lire. Ainsi, en prenant pour les rôles principaux les monstres sacrés que sont Robert De Niro et Al Pacino, Mann transforme son film en pièce filmique métaphysique, arrivant à faire oublier le statut de ces mêmes acteurs pour les changer en individus normaux, c'est d'ailleurs sans doute la plus grande réussite du film qui, pour immerger son spectateur de façon convaincante, ne pose jamais les visages des deux acteurs dans le même cadre, un tour de force subtil et étonnant qui prouve par ailleurs à quel point Mann ne cherchait absolument pas à livrer un blockbuster basé sur un face à face, mais bien de réaliser une œuvre personnelle comme rarement vu sur un écran de cinéma.
Mais l'intérêt du script de Heat vient avant tout des personnages joués par De Niro et Pacino, jouant tout deux des adversaires créés par le destin et ayant pourtant tout deux la même conception de la vie et de l'honneur malgré des vécus totalement différents. Il est étonnant par ailleurs de se rendre compte à quel point Mann préfère largement se concentrer sur le personnage de McCauley, truand en apparence mais qui, au final, se révèle bien plus humain que son adversaire Hanna, arrivant à posséder des amitiés véritables, une logique de vie sur laquelle se poser ainsi qu'un amour naissant, promesse de nouveaux horizons magnifiques mais invisibles (l'océan, encore une fois révélateur d'une solitude que l'on cherche à faire disparaître) là où le personnage d'Al Pacino cumule les échecs amoureux, sociaux et personnels, se transformant en calculateur froid avec pour seul but de faire ce dont il est capable. Ainsi, à la grande surprise du spectateur, Mann cherche avant tout à accentuer l'émotion là où on l'attend le moins, du côté des gangsters tandis que les forces de l'ordre, de leur côté, évoluent dans un univers où tout les poussent à jeter l'éponge. Difficile donc de trouver de réels défauts à ce qui est, et de loin, le plus beau script de Michael Mann (je lui trouve un seul défaut mineur : la storyline des prostituées assassinées qui ne sert finalement pas à grand chose, mais elle a le mérite de déboucher sur une très belle scène d'émotion avec Hanna du coup je pardonne) et le plus dense, aussi bien sur les thèmes que sur la capacité à traiter des storylines multiples (les personnages de Breedan et Van Zant sont secondaires mais jamais oubliés malgré le peu de présence à l'écran), un script magnifié par une mise en scène qui, elle aussi, se révèle être le firmament du travail visuel de Mann. Alternant aisément entre des dialogues intimistes à la véracité palpable et des séquences marquantes se répercutant encore aujourd'hui sur le cinéma contemporain, Mann fait preuve d'un savoir faire indéniable. Le gunfight dans les rues de Los Angeles, aujourd'hui souvent cité parmi les meilleurs du genre, est d'une puissance colossale via un montage travaillé (notamment sur le braquage en lui-même, on a même le droit à une gestion géniale du temps via l'exécution de Cheritto) et regorgeant de trouvailles visuelles permettant l'immersion du spectateur au sein de ce chaos rural (le petit plan-séquence où Val Kilmer tire des deux côtés tout en rechargeant c'est typiquement le genre d'ajouts très appréciables).
Enfin, on notera un travail de gestion du cadre maîtrisé, comme très souvent chez Mann, il suffit d'analyser un tant soit peu le plan final pour se rendre compte à que point il résume à lui seul la finalité du propos du métrage, McCauley expirant avec, derrière lui, la piste d'aéroport qui signifiait son salut tandis qu'Hanna se tient debout, résigné à faire la même chose pour le restant de ces jours, devant la ville infernale dans laquelle il est condamné à rester, les deux personnages étant liés par la poignée de main, le lien du sang et de l'honneur, signifiant la compréhension réciproque de deux personnages pas si différents que ça et qui auraient pu être amis dans une autre vie. Si Heat doit sa qualité globale à la photographie de Spinetti ainsi qu'à sa bande-son superbe, il doit énormément à son casting sans aucune faute qui prouve à quel point Mann peut être un excellent en ce qui concerne la direction d'acteurs. Pacino et De Niro trouvent là certaines des plus belles scènes de leur carrière (le dernier regard de McCauley à celle qu'il aime est d'une puissance ultime et d'un déchirement sans nom, ma scène favorite de très loin) et la galerie de seconds rôles est excellente avec notamment la présence de Jon Voight, Val Kilmer, Tom Sizemore, William Fichtner, Diane Venora ou encore Natalie Portman. D'une puissance rarement égalée et d'une profondeur d'écriture abyssale, Heat s'impose encore aujourd'hui comme l'un des plus beaux polars jamais réalisés, l'un des scripts les plus réussis sur la condition humaine ainsi que la plus belle œuvre de son auteur. Masterpiece.
NOTE : 10/10