Cast Away (Seul au Monde) de Robert Zemeckis
(2000)
On appréhende toujours la vision nouvelle d'un film qui nous a touché de façon très personnelle des années auparavant, de peur que l'on découvre une toute autre œuvre qui ne nous parlerait plus autant qu'avant. Pourtant, dans le cas d'un film comme
Cast Away, qui a clairement été l'un des films qui a permis mon amour infini pour le Septième Art, force est de constater que le plaisir produit répond toujours présent, et même si l’œuvre n'est pas dénuée de tout défauts comme j'avais pu le penser avant, on est bien en face d'un excellent film qui s'inscrit parfaitement dans la logique des thématiques de son auteur tout en arrivant à se démarquer des habitudes de Robert Zemeckis sur bien des points. Car si le changement des genres se confirme souvent dans sa filmographie,
Cast Away s'impose évidemment comme sa plus grosse prises de risques à l'époque. Après l'échec critique en grande partie injuste de
Contact, Zemeckis se tourna vers un projet sur lequel personne ne l'attendait, à savoir une sorte de réactualisation du mythe de Robinson Crusoé sur lequel l'efficacité entière du film serait basée non seulement sur la mise en scène mais aussi et surtout par l'acteur principal qui serait seul à l'écran pendant près d'une heure et demie de métrage. Exit donc l'aventure pure de l'ouvrage original, Zemeckis recherchant le réalisme avant tout et donc forcément la mise en avant de la survie mais aussi de la psychologie de son personnage.
Car si
Cast Away est bien entendu le témoin d'une performance d'acteur monumentale, il serait dommage d'occulter la richesse de son script, que ce soit sur la forme, via la rythme et la mise en place de la dramaturgie, que sur le fond, le film étant finalement un voyage au sens premier du terme mais aussi un voyage psychologique au même titre que celui de
Contact, la mise à l'épreuve d'un homme qui base sa vie entière sur quelque chose d'aussi subjectif que le temps qui passe et qui devra finalement remettre tout en question, aussi bien sa place dans le monde que sa façon de concevoir la vie. Ainsi,
Cast Away est avant tout un film sur le temps et sur la façon dont l'être humain le perçoit, le personnage de Chuck Noland devenant prisonnier de ce sur quoi il se basait en pensant le battre chaque jour par son métier, il devient donc, dès son arrivée sur l'île, l'esclave de cette force subjective qu'il a osé défier. L'île devient alors presque une entité fantastique (le dernier plan sur celle-ci le montre clairement), un personnage à part entière du métrage qui renvoie toujours à cette notion du temps, que ce soit dans ses formes (une sorte d'horloge au beau milieu de l'océan où les secondes seraient remplacées par le déchaînement incessant des vagues meurtrières) ou dans la façon dont elle filmée par Zemeckis (nombreux recourt à des panoramiques lents et circulaires, la découverte de l'île dans sa totalité sur la montagne est profondément évocateur de cette mise en image). Via le voyage dans le temps (retour aux sources primitives) et le travail psychologique de soi, cette entité changera profondément l'homme qui considérait toute sa vie pour acquise, lui apprenant que c'est finalement les choses les plus simples qui sont les plus importantes et que l'on ne sait jamais de quoi l'avenir sera fait, à l'image de ce carrefour qui ouvre et clôture le film, véritable fenêtre sur des horizons prometteurs d'un nouveau départ. D'une puissance étonnante et d'une tristesse infinie, le script ne cède jamais à la facilité quand à la démonstration de son propos, en témoigne sa conclusion poignante qui, malgré quelques longueurs, nous rappelle que c'est souvent dans les désillusions les plus intenses que l'on retrouve la force de vivre. Chuck Noland aura tout perdu et ne pourra jamais revivre comme avant, mais c'est un homme nouveau qui se tient au milieu du carrefour, un homme conscient et heureux des possibilités infinies qui s'offrent de nouveau à lui.
Niveau mise en scène, et malgré un classicisme trompeur, le film est clairement une des œuvres les plus travaillées de son auteur, arrivant non seulement à toujours conserver l'attention de son spectateur mais livrant aussi un travail formel aussi subtil que marquant. Car si, comme dit plus haut, le film entier est imprégnée de cette thématique du temps pour donner un sens nouveau à certains plans, le métrage possède aussi ses tours de force, que ce soit sur le spectaculaire (le crash de l'avion, certainement le plus immersif encore à ce jour) ou sur l'émotion de certaines séquences comme les retrouvailles avec Kelly ou la perte du compagnon de fortune. Malgré quelques incrustations numériques qui montrent aujourd'hui leurs limites (les baleines notamment), force est de constater que les effets visuels conservent toujours leur efficacité via la subtilité de leur utilisation, une habitude chez Zemeckis. Quand à la bande-son d'Alan Silvestri, elle sait se montrer discrète (aucun passage musical du crash de l'avion jusqu'à la fuite de l'île) pour un maximum d'efficacité, mention spéciale au thème principal, beau à en pleurer. Enfin, comment parler de
Cast Away sans évoquer la performance monstrueuse de Tom Hanks qui trouve là l'un de ses derniers très grands rôles à ce jour (seuls Steven Spielberg et Sam Mendes auront depuis offerts des rôles dignes de l'acteur), arrivant à trouver une palette d'émotion très large et communiquant de façon innée avec le spectateur, certainement son plus beau rôle. Œuvre d'une tristesse étonnante au propos profondément humaniste,
Cast Away s'impose véritablement comme l'un des meilleurs films de son auteur, celui-ci trouvant dans la revisite d'un mythe connu de tous le moyen d'évoquer pleinement ses thèmes fétiches afin de multiplier la puissance évocatrice de son métrage. Certainement pas un chef d’œuvre, mais le grand film est bien là.
NOTE : 9/10