Trois ans après un Batman Begins qui avait réussi le pari insensé de faire renaître de ses cendres la licence Batman sur une base solide à base d'approche réaliste et de psychologie du personnage travaillée jusque dans ses fondements, Christopher Nolan rempilait en 2008 avec
The Dark Knight, suite attendue des aventures du Caped Crusader et qui devait confirmer, ou non, la réussite du réalisateur sur son intention de départ. La réponse s'impose aujourd'hui d'elle-même, le film ayant eu depuis un succès public et critique phénoménal, même pour un film estampillé Batman, et si l’œuvre possède encore quelques menus défauts, force est de constater que
The Dark Knight est clairement l'un des meilleurs films du genre réalisés ces dernières années. Mais la réussite du métrage tient clairement par l'approche de Nolan entamée sur
Batman Begins et qui est poussée ici jusque dans ses derniers retranchements. Beaucoup auront reprochés au réalisateur sa volonté d'ancrer Batman dans un univers à la géo-politique ultra réaliste, mais c'est véritablement de cette prise de risques que
The Dark Knight puise toute sa puissance évocatrice pour finalement arriver à s'ancrer totalement dans le contexte d'aujourd'hui et devenir plus qu'un super-héros. D'une densité étonnante, le script, soutenu par l'arrivée de Jonathan Nolan, ne cède jamais à la facilité, que ce soit sur la forme (volonté de superposer les storylines pour mieux les confronter puis les faire exploser entre elles) ou sur le fond (travail évident sur la dualité, que ce soit sur le simple personnage de Bruce Wayne, son rapport avec le Joker et surtout le personnage d'Harvey Dent/Double-Face) et arrive donc facilement à s'imposer parmi les blockbusters les plus intelligents de ces dernières années.
Le travail d'adaptation, bien que fortement transcendé par la volonté de réalisme dès la première séquence du métrage, se révèle franchement extraordinaire dans le sens où elle arrive non seulement à concilier l'univers de Batman dans une mégalopole urbaine contemporaine (on voit clairement que de nombreuses prises de vues ont été faites à Chicago) mais aussi et surtout à produire, en plus d'un film de super-héros, un thriller/polar qui se suffit à lui-même. La rupture visuelle entre le premier opus et
The Dark Knight est donc bien présente et ce, malgré la continuité scénaristique, mais ce défaut est transformé rapidement en avantage principal de l’œuvre tant la vision de cet univers par Nolan est ici poussé à son paroxysme. Le réalisateur laisse donc ici parler sans ménagement ses influences, à commencer par celle de Michael Mann dont un hommage évident est rendu dans une séquence de braquage qui rappellera beaucoup celle de
Heat, mais c'est véritablement dans le traitement de certains personnages que le film puisera sa puissance première. Car si le Joker est évidemment l'attraction principale en terme de spectacle (personnage intégré à merveille en tant qu'agent du chaos et de l'anarchie), c'est véritablement Harvey Dent/Double-Face qui se révèle être au centre du métrage au point que l'on en vient à se demander s'il n'est pas le véritable Chevalier du titre, un Chevalier déchu qui serait passé de la Lumière de la Justice idéalisée au Hasard cruel, impartial mais juste. Dent devient alors pour Nolan le protagoniste qui lui permet non seulement véhiculer ses thèmes fétiches (dualité, double-personnalité) mais aussi les questions primordiales du métrage, à savoir où et quand s'arrête la limite entre le héros, le paria et le justicier, thématique jusque là jamais traitée avec autant d'élégance dans un film du genre. Sur ce point là donc,
The Dark Knight s'impose comme une merveille d'écriture, mélangeant habilement une densité constante sur la forme ainsi qu'un fond intelligent et qui se permet de remettre en question le genre même auquel il appartient.
Niveau mise en scène, si le film ne peut se targuer d'être totalement parfait, la faute aux limites de Nolan sur le spectaculaire par l'image, il faut bien avouer que
The Dark Knight s'impose sûrement comme son plus beau travail formel en terme de montage (fabuleux montage alterné entre les trois victimes du Joker) ainsi que sur des séquences particulièrement marquantes par la mise en scène de celles-ci (le réveil de Dent à l'hôpital, l'attaque du convoi, le passage à Hong-Kong, etc...). Côté casting, Bale est fidèle à lui-même, Aaron Eckhart et Maggie Gyllenhaal se révèlent être des rajouts de poids, mais c'est véritablement Heath Ledger qui vole la vedette, tout simplement mémorable en Joker qui fait passer l'interprétation de Nicholson pour un plouc ridicule. Enfin, Hans Zimmer reprend à peu de choses près la totalité des thèmes du premier opus tout en rajoutant un thème musical particulièrement savoureux sur les apparitions du Joker, ce qui contribue fortement au caractère marquant de celles-ci. A défaut d'être le meilleur Nolan (je lui préfère
Inception sur le thème du blockbuster, mais aussi
Memento et
The Prestige),
The Dark Knight s'impose aisément comme le meilleur film de super-héros des années 2000 avec
Spider-Man 2 et
Hellboy 2. Un très grand film donc, ni plus ni moins.