Memento de Christopher Nolan
(2000)
Après
Following, premier film fauché qui était de loin l'une des plus belles surprises du cinéma anglais des années 90, Christopher Nolan offrait au public mondial la confirmation de son talent via un long-métrage auquel il restera toujours lié. Ainsi, en 2000,
Memento sortait sur les écrans et allait vite devenir un film culte pour toute une génération de cinéphiles. Pourtant, en apparence, le film possède un script somme toute classique, mais qui est véritablement transcendé par une nouvelle façon de raconter une histoire, le métrage commençant par la scène finale pour aboutir sur ce qui devrait être l'introduction du récit (un procédé totalement original à l'époque que reprendra deux ans plus tard Gaspar Noé pour un résultat ravageur). Une idée tout simple qui pourtant donne toute sa puissance au film, le procédé étant loin d'être gratuit étant donné que
Memento suit les avancées d'une enquête par un homme ayant perdu sa mémoire immédiate. Ainsi, le héros du film est incapable de se souvenir de ce qu'il a pu faire cinq minutes auparavant, le choix de raconter l'histoire de Memento par plusieurs séquences où le spectateur sait où se dirige le héros mais pas forcément d'où il vient prend alors tout son sens, que ce soit sur le déroulent formel de l'histoire mais aussi par rapport à la psychologie du héros qui se refuse de regarder en arrière.
Memento est, de plus, coupé entre chaque séquences par une courte interlude en noir et blanc, des scènes que l'on pourrait croire isolées mais qui se révèleront plus importantes qu'elles ne le laissent paraître puisqu'elles évoquent à elles-seules tout un segment des thématiques de Nolan, à savoir la dualité psychologique pour se protéger du monde extérieur. Tiré à l'origine d'une courte nouvelle de Jonathan Nolan, le script est entièrement réécrit par son frère qui en profite pour raconter à travers cette histoire une suite logique des thèmes déjà abordés dans
Following. Ainsi, on retrouve l'obsession de chercher à connaître une vérité à travers la psychologie d'autres personnages, avec tout les risques que cela peut engendrer (via le mensonge notamment) mais aussi la volonté de trouver une place dans un monde sans cesse en mouvement d'expansion. Il est étonnant par ailleurs de voir à quel point
Following,
Memento et
Inception, trois films écrits et réalisés par Nolan, sont totalement complémentaires entre eux, traitant exactement des mêmes thèmes sans jamais se répéter.
Ainsi, Memento serait en quelque sorte un film noir atypique, puisque se concentrant bien plus sur une psychologie changeante que sur une intrigue finalement cousue de fil blanc. On s'étonne par ailleurs de voir à quel point on ne recherche finalement pas le tueur mais plutôt la paix pour un Leonard Shelby qui ne trouve que la vengeance comme raison de vivre. En terme de mise en scène, si
Memento possède une classe visuelle évidente (superbe générique d'introduction) via un choix de photographie ingénieux (Wally Pfister, de loin l'un des directeurs de photographie les plus doués de ces dernières années) et des inserts tous plus beaux les uns que les autres, il est évident que Nolan fut dépassé assez vite sur le tournage,
Memento étant non seulement son premier long-métrage professionnel mais aussi son premier film dans un pays étranger avec un budget solide. Le film manque donc un peu de personnalité en terme de mise en scène pure (là où un film comme
The Prestige possède réellement l'empreinte de son réalisateur), même si, pour le coup, ce défaut est loin d'être préjudiciable tant
Memento fonctionne véritablement en autonomie. Le film a même tendance à très bien vieillir, faisant partie de ces rares films à révélations qui peuvent se revoir avec un intérêt nouveau, le sous-message psychologique faisant des merveilles à ce niveau là, d'autant que depuis la sortie d'
Inception les pistes de lecture sont multipliés par dizaines.
Memento est donc clairement ce genre de films qui prendra de plus en plus d'intérêt au fil des ans. Le métrage jouit en plus d'un très bon casting, réunissant Guy Pearce (excellent), Carrie Anne-Moss et Joe Pantoliano (parfait, comme toujours) mais aussi d'une bande-sonore hypnotique signée David Julyan du plus bel effet.
Memento, sans être le meilleur film de Christopher Nolan (qui a fait bien mieux depuis) est pourtant en quelque sorte son œuvre charnière, celle qui lui permettra non seulement de se faire un nom au sein de l'industrie cinématographique américaine mais aussi celle où la totalité de ses thèmes se regroupent pour former un tout qui impose sa puissance évocatrice plus d'une décennie après sa sortie en salles. C'est souvent là que l'on reconnaît un grand film et
Memento en est assurément un, aucun doute possible.
NOTE : 9,5/10