La Clé de verre |
Réalisé par Stuart Heisler
Avec Alan Ladd, Veronica Lake, Brian Donlevy, Joseph Calleia, Bonita Granville, William Bendix, Margaret Hayes
Film noir, USA, 1h27- 1942 |
8/10 |
Résumé : Paul Madvig, un politicien influent proche du crime organisé, décide de lâcher ses anciens partenaires pour soutenir la candidature du sénateur Ralph Henry qui prône un retour aux valeurs morales, car il courtise sa fille, Janet. Par contre il voit d’un mauvais œil, la relation entre sa sœur et le fils du sénateur, un joueur invétéré. Lorsque ce dernier est assassiné, tout semble accuser Paul, pour le plus grand plaisir de Nick Varna, le patron de la pègre locale décidé à le faire condamner par tous les moyens. Paul peut alors s’appuyer sur le soutien indéfectible de son ami et homme de confiance, Ed Beaumont qui mène sa propre enquête pour le disculper quelque soit les moyens employés…
Cette adaptation simplifiée et fortement élaguée du roman de Dashiell Hammett parvient pourtant à retranscrire parfaitement l’atmosphère sordide, la corruption ambiante, le cynisme, l’instabilité et la désacralisation des relations familiales qui parcourent les oeuvres du chef de file du courant « Hard-Boiled ».
La Clé de verre est avant tout l’histoire d’une amitié indéfectible entre deux hommes sur fond de drame familial, de magouilles politiques, de notables arrivistes, de politiciens véreux, de justice corrompue, de presse manipulatrice et de crime organisé. Dans cette ville, dont le nom n’est jamais cité, nul n’échappe à la pourriture ambiante. Vision désenchantée, d’une société américaine gangrénée par la violence et l’ambition. Pour atteindre leurs objectifs, les différents protagonistes se lancent dans un jeu dangereux de manipulations et de manigances sournoises qui n’épargne personne et au cours duquel chacun peut devenir le marionnettiste ou le pantin. Nul personnage attachant, tous les acteurs de ce drame sordide naviguent en eaux troubles et si Ed Beaumont devient le «
héros », le personnage que le spectateur veut voir triompher, c’est simplement que sa détermination à sauver son ami est ce qui se rapproche le plus d’un semblant de moralité, même si pour y parvenir, il est prêt à toutes les magouilles ou vilénies
Stuart Heisler livre un film noir qui contribue, un an après la sortie du Faucon Maltais et la même année que Tueur à gages à fixer les codes du genre. Une photographie en noir et blanc très contrastée qui souligne une atmosphère froide et sombre (une voiture arrivant dans la nuit sous une pluie battante, des ruelles brumeuses, tripots crasseux…), le chapeau mou et l’imperméable, l’importance des gros titres et manchettes de journaux , une intrigue alambiquée ou encore les prémices de la femme fatale (Janet, la beauté évanescente, Opal, la femme-enfant, Eloïse, la femme lascive). Pas de détective privé, mais un truand, dur à cuir, séducteur, individualiste qui mène l’enquête et se rapproche de l’archétype du genre. La mise en scène sobre et efficace, se concentre sur l’essentiel, faire avancer l’intrigue et ne multiplie pas les effets de styles gratuits. En ce sens le réalisateur colle à l’écriture télégraphique d’Hammett dont la caractéristique est de présenter des personnages qui sont décrits ou qui agissent mais dont on ne connait jamais les sentiments ou les pensées profondes.
Le film surprend surtout par son ton subversif, la perversité et la violence qui se dégagent de certaines scènes (dialogues aux allusions sexuelles explicites lors de la première rencontre entre Janet et Beaumont, scène de séduction entre Eloïse et Beaumont aux conséquences fatales, scène du passage à tabac particulièrement brutale pour l’époque, d’ailleurs reprise par
Kurosawa dans son
Yojimbo puis par
Leone dans
Pour une poignée de dollars, scène d’évasion, scène de strangulation et surtout un jeu du chat et de la souris complètement sadique entre Jeff et Beaumont dont il est impensable que la censure de l’époque n’est pas compris le double sens surtout dans ce passage où
Lillian Randolph interprète «
I Don't Want to Walk Without You, Baby »).
William Bendix qui interprète Jeff est franchement flippant. Une graine de psychopathe à tendance masochiste qui s’extasie de la souffrance d’autrui. Toutes les scènes entre
Ladd et
Bendix sont particulièrement tendues, électriques et limite perturbantes.
Le film dispose aussi d’un casting solide.
Brian Donlevy assure dans le rôle de Paul Madvig. Il semble peu ingénieux et retors pour un politicien si influent, mais il se place assurément dans la mouvance de ces chefs crapuleux fatalistes avec un certain sens de l’honneur qui se laisse presque conduire à l’échafaud pour les beaux yeux d’une femme.
Veronica Lake dans le rôle de Janet Henry, n’est pas encore totalement la Femme fatale. Elle ressemble plus à une poupée de porcelaine qui n’est pas très à l’aise et plutôt passive dans un rôle quelque peu effacé. Quant à
Alan Ladd, dans le rôle de Beaumont, il est absolument parfait, pourtant je ne suis pas très fan de cet acteur. Son physique svelte et plutôt fin tranche avec la dureté de ses actions et sert particulièrement bien le personnage. S’il n’a pas du tout le physique de Beaumont décrit dans le roman d’
Hammett, il en adopte en tout cas le comportement à la lettre (ambivalent, calculateur, rusé, impassible, déterminé, doté d’une surdose de sang-froid, pragmatique, stoïque) et se fond littéralement dans le personnage.
William Bendix en brute épaisse est totalement inquiétant,
Joseph Calleia est excellent dans le rôle de Nick Varna, seule
Bonita Granville dans le rôle d’Opal Madvig est un peu fade.
Un bon film noir que j’ai nettement préféré au Faucon Maltais même si le final est un ton en dessous du reste du film, un peu trop facile et typiquement hollywoodien.