Exilé |
Réalisé par Johnnie To
Avec Anthony Wong, Francis Ng, Simon Yam, Nick Cheung, Roy Cheung, Lam Suet
Polar et Western, HK, 1h40- 2006 |
9/10 |
Résumé : Wo a quitté le milieu pour se retirer avec sa famille à Macao. Quatre tueurs venus de Hong Kong se retrouvent devant sa porte, deux d’entre eux ont pour mission de le liquider et les deux autres sont venus pour empêcher son meurtre…
Exilé n’est pas la suite de
The Mission et pourtant tout concourt à créer un lien entre ces deux œuvres majeures de
Johnnie To. En premier lieu, la présence au générique des mêmes acteurs dans des rôles quasi similaires de tueurs à gages, en second lieu une totale similitude des thématiques principales : des hommes qui doivent choisir entre le respect du code d’honneur de la triade et la loyauté envers des amis. La scène d’introduction de
Exilé au cours de laquelle deux équipes de professionnels se jaugent et s’opposent est un véritable reflet de la scène finale dans le restaurant de
The Mission avec les mêmes enjeux et la même tension. La scène où Cat tire sur une cannette pour éloigner le sergent Chan rappelle la dextérité de la scène de foot avec une balle de papier dans
The Mission et fait le lien avec la scène des chapeaux entre Le Manchot et Mortimer dans
Et pour quelques dollars de plus. Car dans
Exilé,
To joue non seulement avec les références de ses propres films, mais il va beaucoup plus loin, en mariant les codes de ses polars urbains à ceux du western spaghetti.
L’ombre de
Leone plane sur le film, dans les dialogues, dans les duels, les règlements de compte et dans les couleurs d’ocres qui baignent les paysages de Macao dont le style architectural entre influence orientale et portugaise devient le cadre idéal de ce western urbain. Un homme joue de l’harmonica autour d’un feu de camp, des « pistoleros » / tueurs à gages attaquent un convoi d’or, la bande originale s’harmonise avec chaque action et rappelle les mélodies d’
Ennio Morricone. Le final d’
Exilé est un véritable hommage à celui d’
Il était une fois dans l’Ouest. Dans les deux films, la femme de petite vertu rafle le magot. Dans ce contexte en pleine mutation, fin de l’Ouest sauvage et avancée de l’esprit d’entreprise / rétrocession de Macao et nouvelles alliances du crime organisé, les chasseurs de primes / les tueurs à gages avec leurs codes d’honneur appartiennent au passé et sont voués à disparaître.
Bien sûr Johnnie To n’oublie pas ses fulgurances formelles et l’on retrouve sa dynamique de l’immobilisme si particulière dans trois exceptionnelles scènes de « gunfight ». Le temps se dilate et chaque mouvement semble se figer dans un instant de flottement qui pourrait symboliser l’incertitude ambiante de la rétrocession. Chacune de ces trois scènes de « duel » est un exercice de style totalement maîtrisé qui contraste merveilleusement avec le chaos qui règne sur les lieux (appartement, restaurant ou hôtel) mis en valeur par des jeux de lumières et de fumées. La dimension tragique et le lyrisme de la violence qui nimbent ces trois grands moments du film, rappellent par quelques aspects le western crépusculaire de Peckinpah. Des moments de bravoures à la violence sans concession qui enchaînent avec des moments profondément sereins (emménagement, repas, séance photo, feu de camps) et confèrent au film une aura presque surréaliste, une touche d’humour et un intense sentiment de désenchantement. Macao apparaît comme un territoire cloisonné où les adversaires sont fatalement obligés de se croiser dans un ballet de plus en plus dangereux et funeste (restaurant, appartement du docteur, hôtel). Une impression de claustrophobie parcourt le film.
A retenir également, les interprétations inspirées de Simon Yam déjanté et charismatique, de Francis Ng tout en intensité presque mesurée, à la limite de l’explosion, de Nick Cheung entre fatalité et détermination, d’Anthony Wong celui qui doit choisir et réussit à transmettre tout un panel d’émotions contradictoires tout en restant quasiment impassible. S’ajoutent Lam Suet et Roy Cheung en partenaires à la fidélité sans failles, Richie Ren l’élément comique du film et Josie Ho la femme dont le désir de vengeance déclenchera un engrenage fatal.
Exilé est une œuvre magistrale qui mêle subtilement polar et western, action et mélancolie, humour et tristesse, nostalgie et liberté sur fond d’amitié fraternelle.