Le Sixième sens |
Réalisé par Michael Mann
Avec William Pettersen, Tom Noonan, Brian Cox, Dennis Farina, Joan Allen
Thriller, USA, 1h59- 1986 |
8/10 |
Résumé : Will Graham, profiler d’exception du FBI, en retraite anticipée pour avoir frôlé la mort lors d’une arrestation trois ans plus tôt, est contacté par son ancien collègue Jack Crawford, qui a besoin de ses talents pour l’aider à traquer un serial-killer ayant déjà massacré deux familles…
Cette adaptation du roman Dragon Rouge de Thomas Harris marque la première apparition à l’écran du personnage d’Hannibal Lecter rebaptisé Lecktor, sans doute parce que le film est très librement adapté et porte beaucoup plus les thématiques chères à Michael Mann que celles de l’écrivain. A la différence du roman, le sujet du film de Mann est bien plus l’exploration de la part d’ombre du héros qu’une analyse du comportement d’un serial-killer, même si cet aspect n’est pas oublié à travers le portrait de deux personnages de meurtriers très différents : le Dr. Hannibal Lecktor et Francis Dollarhyde.
Les flics profiler sont devenus très populaires aujourd’hui notamment sur le petit écran avec des séries phares telles que Profiler et surtout Criminal Minds, mais dans les années 80 Michael Mann se penche sur un sujet et une profession peu connus et peu médiatisés, alors que les meurtriers en série fascinent déjà depuis longtemps le public et les médias. Manhunter est avant tout un thriller psychologique qui nous plonge dans l’esprit de Will Graham rongé peu à peu par le mal qu’il côtoie de trop prêt, constamment sur le fil du rasoir. Pour le profiler chaque enquête est une expérience de plus en plus traumatisante dans laquelle il se perd un peu plus adoptant un comportement progressivement de plus en plus instinctif, voir quasiment animal et profondément autodestructeur. William Petersen est excellent, il campe un Will Graham hanté par ses démons et son regard nous captive à chaque instant.
Face à lui, deux psychopathes magistralement incarnés par
Tom Noonan et
Brian Cox.
Noonan est absolument fascinant dans le rôle de Francis Dollarhyde, à la fois fou et fragile, touchant et cruel. Personnage profondément ambigu qui peut avoir un comportement enfantin et l’instant d’après se révéler un fauve à l’affût de sa proie. La scène dans la clinique vétérinaire est totalement révélatrice de cette dualité du personnage. Dans la pièce se trouve deux dangereux prédateurs « assoupis » (le tigre et Tooth Fairy), l’un part les somnifères, l’autre par l’amour, tout deux faussement domestiqués. Deux fauves puissants, magnétiques et terriblement mortels. De son côté
Brian Cox campe un Lecktor charismatique, raffiné et calculateur, glacial et reptilien. Bien que beaucoup moins présent à l’écran, son interprétation est plus subtile, mais aussi plus perfide et insidieuse que celle de
Anthony Hopkins tout en grandiloquence. Le Lecktor de
Cox est un personnage particulièrement intelligent qui porte un masque d’amabilité respectueuse à l’égard de Will Graham. Il est somme toute bien plus inquiétant que le Lecter de
Hopkins dont on devine immédiatement le caractère dangereux et sauvage dans
le Silence des agneaux, sans compter l’insupportable cabotinage dont il nous gratifie dans
Dragon Rouge, parodiant le personnage qui le rendit célèbre. Avec
Brian Cox, le personnage est plus mesuré, plus froid, mais finalement tout aussi malsain. En fait, j’ai vraiment l’impression que
Hopkins joue Lecter et que
Brian Cox EST Lecktor. Dans
Manhunter, les deux psychopathes sont présentés comme des hommes profondément dangereux, pas comme des surhommes et je trouve cette vision bien plus inquiétante et dérangeante que celles proposées par ,
Le Silence des agneaux,
Hannibal ou
Dragon rouge, dans lesquels le côté quasi surhumain de certaines actions, dédouane le spectateur de considérer Hannibal Lecter comme un homme capable de l’innommable. C’est tellement plus rassurant de voir un monstre plutôt qu’un être humain. En ce sens,
Manhunter est une véritable réussite.
Michael Mann réussit à créer un vrai film d’atmosphère grâce à ses images léchées, ses cadrages singuliers et une série de paysages nocturnes déjà précurseur de son style si particulier. Le travail sur la palette des couleurs est magistral, d’une part une lumière intense, un blanc presque chirurgical, d’autre part le bleu turquoise de l’océan et un ensemble de couleurs qui explosent dans des paysages magnifiques. Une colorimétrie qui vient contrebalancer la noirceur de l’intrigue.
Mann nous propose un contraste judicieux entre la sérénité qui se dégage des paysages et le cerveau en constante ébullition d’un profiler au bord de la rupture.
La bande originale concourt également à renforcer l’ambiance du film s’harmonisant avec chaque évènement, chaque humeur, chaque moment de suspense ou chaque émotion. Des sonorités électroniques de cette composition très typique des années 80 se dégagent l’impression d’être pris au piège d’un engrenage immuable et oppressant. Une BO peut être un peu trop marquée par son époque, mais c’est bien l’un des seuls petits reproches que l’on pourrait faire au film avec le personnage du journaliste interprété par Stephen Lang de manière franchement trop caricaturale.
Manhunter est un thriller passionnant bien trop sous estimé que je trouve aujourd’hui bien meilleur que les autres adaptations de la trilogie Hannibal Lecter, tant il est vrai que le Silence des agneaux vieilli vraiment mal et que j’estime les deux autres films tout simplement anecdotiques.