Le parallèle avec le film
Fight Club est évident, et d'ailleurs le roman
99F est sorti en même temps. Ils partagent tous les deux une audace stylistique, plaçant la forme au service de leur sujet. Par leur aspect clipesque, ils se moquent de leur sujet respectif. Mais ce qui change avec
99F, c'est d'abord le background du personnage drogué, et je je trouve qu'on pénètre (encore) plus frontalement que ce dernier dans l'univers de la consommation à travers le domaine de la publicité, montré comme le laboratoire par excellence des désirs inutiles et de la production des consommateurs interchangeables.
Je trouve qu'il s'agit d'une excellente adaptation du roman, et je la trouve même encore meilleure que ce dernier. Nous y retrouvons bien sûr une conception satyrique, désabusée du monde de la publicité, révélant de manière crue les dessous de ce milieu artificiel, mafieu (génial le clin d'oeil à Leone au
Parrain), ne cherchant qu'à se faire de l'argent sur le dos des consommateurs. Octave, le personnage principal du film, et alter-ego de l'écrivain du roman éponyme (dont certains flashs, conséquences de la prise de drogue, montrent, tels un clin d'oeil sympa, cette identité Octave-écrivain), se prend lui-même pour le maître du monde (cette séquence de la Passion !). Mais le film s'écarte pas mal du roman sur ce point précis : la relation entre Octave (interprété par un Jean Dujardin incarnant à la perfection ce génie arrogant qui se fout de la gueule du monde) et Sophie est resserrée de telle manière qu'on a toujours une petite distance critique avec Octave, un connard pathétique, certes amusant, mais un connard quand même.
Pour figurer tout ça, nous avons droit à mille inventions stylistiques à la minute. C'est un vrai régal. Et cette débauche délirante n'est pas gratuite, mais nous montre l'utilisation du spectateur/consommateur à son insu, le pouvoir de l'image sur son subconscient. La drogue (avec un passage avec Jan Kounen qui intervient comme une sorte de témoignage personnel bien moins lourd que dans
Blueberry...) et la publicité ne sont pas prises à la légère, mais elles nous sont montrées bien souvent de manière sale, dégradante. Ainsi, les publicitaires sont de gros branleurs qui doivent donner une apparence de façade à la maison de publicité, et surtout aux clients. Pour faire vendre, les publicités doivent être consensuelles, avec ses clichés habituels, carrées, formatées à mort, et surtout, ne pas oublier que le consommateur ne vaut pas mieux qu'un produit.
Mais un petit groupe de publicitaires finit par sortir du lot (Octave en fait potentiellement partie). Ils veulent faire de l'art en continuant ce qu'ils faisaient, mais cette fois-ci en ne prenant pas les gens pour des cons, en jouant sur les différents degrés. Ce double visage qui habite tout publicitaire possédant encore du recul par rapport à l'hypocrisie ambiante de leur milieu de travail est à mettre en parallèle avec la fin du film, véritable mise à l'épreuve du spectateur : ce dernier veut-il une fin cash, sans concessions, qui ne le prend pas pour un con, en faisant tuer Octave, en grande partie responsable de la manière dont fonctionne aujourd'hui le monde de consommation, ou bien préfère-t-il une fin plus consensuelle, en faisant réagir l'identité d'Octave, jusqu'à le faire vivre une expérience typée
Nouveau Monde, reflet d'une vie plus simple, plus naturelle, plus saine pour l'individu ? Bref, le cliché du paradis terrestre (rapidement d'ailleurs débouté à travers une séquence, encore une fois, très bien pensée).
Pour conclure,
99F n'est pas juste une critique acerbe de la publicité. Il dévoile également les dessous de la société de consommation, en nous montrant que derrière le choix cornélien stupide et sans intérêt entre deux produits égaux en qualité mais différents par la marque tels le yaourt (à voir aussi : la merveilleuse mise en scène des tics des plus mauvaises publicités avec la reprise parodique de la publicité Kinder) du consommateur lambda, se cache toute une chaîne de production animale et végétale vivant dans des conditions ignobles, pour notre seul bénéfice.