Blade Runner, Ridley Scott (1982)
La grande réussite de ce film repose de manière évidente sur sa direction artistique avec la création de cette mégalopole futuriste, grouillant d'une vie désincarnée et composée d'identités ethniques diverses à dominance asiatique (cela apporte une certaine étrangeté), qui sont écrasées par la monopolisation des images publicitaires projetées sur un écran volant. Un patchwork de nouveau et d'ancien, fait de briques et d'acier froid, sans animaux ni verdure apparents, brillant de milles feux et plongée dans l'obscurité de la nuit. Cette expérience visuelle et contemplative, qui n'a pas vieilli d'un poil, est renforcée par la musique lancinante et hypnotisante de Vangelis. Cette peinture vivante de la SF, inspirée par le Metropolis de Fritz Lang, influencera à son tour beaucoup de réalisations du même acabit, portant sur les mêmes thématiques du vivant et de l'artificiel dans un monde futuriste, tels que Ghost in the Shell, ou A.I., mais sans arriver à la cheville de cette DA tout à fait exceptionnelle.
Cependant, le rythme justement lancinant du film peut justement rendre difficile l'immersion du spectateur dans le film et le scénario, à la fois simple dans les thématiques abordées, et opaque dans ses solutions. On suit ainsi un détective à la poursuite de répliquants en fuite, cherchant à prolonger leur vie limitée à quatre années, et ce faisant, vont aller visiter leurs concepteurs. Autour de ce fil directeur assez simple, un paquet de thèmes tournoie autour de la distinction entre les humains et les répliquants. Les réplicants sont-ils des machines perfectionnées ne possédant ni âme, ni sentiments, ni histoire personnelle, ou sont-elles les égales des humains ? L'intelligence du film est de laisser beaucoup de questions en suspens, sans être trop nébuleux pour être abscons (via par exemple ce fameux rêve de la licorne en tous points symboliques), le tout terminant sur une note métaphysique et poétique de toute beauté avec Roy récitant ce puissant poème sur l'âme humaine, et la fuite des deux amants qu'on pressent comme funeste.
C'était tout le génie de Ridley Scott de l'époque que je retrouve guère aujourd'hui, de donner ainsi vie à un univers intemporel (exceptée peut-être la bande à Roy qui fait très '80), et d'interpeller le spectateur avant tout par son sens aigu de l'image et de la composition. En tous cas, Scott parvient ici à transcender un matériau de base littéraire pourtant pauvre en éléments futuristes, tout en insufflant à cette histoire un fond métaphysique très personnel qui prend plus aux tripes que le bouquin, réduit finalement à une simple inspiration de départ.
Note : 9/10